Un bandit cogne toujours deux fois
#13
Un point de côté. Un énorme point de côté et probablement une côte fêlée par-dessus le marché. Cette impression désagréable où vos poumons vous hurlent de les satisfaire au plus vite en oxygène lorsque vos côtes vous supplient pour que ces premiers restent tranquilles.

Les parties de votre corps ne sont pas toujours d'accord les unes avec les autres. Ils pourraient s'expliquer entre eux à la place. Mais non, les organes sont des vieux ronchons acariâtres qui refusent de s'adresser la parole.
C'est dans cette posture délicate que je tâchais de reprendre mes esprits. Des étoiles dansant devant mes yeux et ma main agrippée à ma lance comme à une cane de petits vieux plantés la pointe dans une boue infâme. Je tentais de retrouver son souffle et un semblant de dignité alors vouté et le visage blanc comme un linge.

Un instant plutôt j'avais sauté dans l'infâme eau d'une épaisseur douteuse qui traversait ces égouts dans l'espoir d'attirer l'attention des contrebandiers. J'ai réussi.

Un instant plus tard le manche d'une hache avait heurté violemment mon thorax en me coupant le souffle.
Heureusement ce n'était que le manche, le tranchant de la lame m'aurait facilement percé l'armure de cuir et organisé une rencontre avec une artère ou l'autre se baladant innocemment dans ma poitrine.

Ce moment de confusion avait toutefois suffit à faire perdre le temps nécessaire pour que mes compagnons en finissent avec le propriétaire de la hache et son comparse, depuis réduit à l'état « de vagues tas viandes trop cuits couverts de petit bâtons pointus ».

Je soupire mentalement. Oui, c'est chose possible de soupirer mentalement, surtout lorsque l'on a une côte qui se demande si elle a bien réussit son créneau et ses voisines qui la regardent d'un air qui semble dire « fillette, tu marches sur mes plates-bandes, va voir ailleurs».

Tout en regagnant quelques brides de respiration et en se redressant vaguement, je songe :
« Je leur avais pourtant proposé de rendre les armes et de décarrer à ces imbéciles ».

Un coup d'œil à droit, un coup d'œil à gauche.

C'est bon, les gamins sont en un seul morceau. C'est qu'il y a de la famille sur place. Deux neveux et une nièce. Bien, ils sont un peu couverts de merde et on prit quelques coups mais c'est le métier qui rentre. Victor et Evrad sont un peu amochés, oui, ils ont des méchantes éraflures et des carreaux plantés dans les armures mais rien qui les fera mettre un pied dans la tombe. Les sorciers parmi nous devraient parvenir à soigner ça rapidement. Enfin, j'espère.

En définitive je ne sais pas trop comment j'expliquerais à leurs parents la mort de leurs enfants s'ils venaient à trépasser dans ces fichus égouts.

A Lazzare, le père de Cendre et de Victor ça serait sans doute le moins compliqué. Moi et mon frère ne nous entendons pas (ou plus) et il refuse de me voir ou de me parler depuis que je lui ai fiché la moitié de mes phalanges dans les gencives (rapport à Hemina, la mère de Victor, mais ce sont des histoires de grandes personnes). Bref, ça ne changerait pas beaucoup nos relations en définitive. Ils me détesteraient sans doute encore un peu plus, mais personne n'a obligé ces gamins à rejoindre les Sentinelles ou même ces égouts. Ils sont aujourd'hui assez grands que pour décider des risques qu'ils souhaitaient prendre et de quelles causes embrasser. Je devrai les dissuader, je ne crois pas non Lazzare, ils valent mieux que toi à te dorer le fessier dans ton maudit château.

Aux parents d'Evrard, ça serait plus ardu bien sûr. Terriblement plus ardu. Communiquer avec les morts c'est une affaire de prêtre et je m'entends moyennement avec le panthéon divin, en tout cas depuis la mort d'Annabelle. C'est moche de mourir comme ça. Plutôt mourir dans les déjections elfiques une arme à la main plutôt que d'une maladie qui vous transforme en légume, puis en pâtée pour asticot.

Les images de l'enterrement d'Annabelle et son mari me reviennent.

En passant une main poisseuse sur mon visage, j'essaye de chasser ces pensées.

Ces gamins ont besoin d'entrainement et cette escapade à la recherche de misérables contrebandiers de seconde zone est une bonne occasion de les mettre à l'épreuve. Ça leur forge le caractère et ils sont bien entourés par les membres des Sentinelles pour éviter de trop gros risques. Enfin, j'espère.

Il n'y a pas que des bleus parmi leurs troupes. Il y a même cette vieille pie d'Elena. Une guerrière émérite en son temps. Toujours aussi insupportable, osant même tenter une pique sur mon âge. La garce. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle a abandonné les armes. A notre âge on ne se refait pas. Vieille excentrique.

Au fond c'est plutôt moi qui aurais besoin qu'on veille sur mes arrières, plus que mes neveux. Je n'ai plus la vigueur que j'avais il y a 10 ans. A cette époque j'aurais affronté seuls ces pathétiques bandits, à main nue et une main dans le dos ! Il n'y a pas un doute ! Aujourd'hui, j'ai peine gardé de maigres réflexes et mes muscles ont fondus sous le poids de l'inaction et de la boisson.

Quand enfin mon point de côté semble disparaitre et que mon esprit a récupéré tous les morceaux de pensées éparpillées dans mon crâne de vieillard gâteux, je détends mes muscles fatigué, pensant enfin le combat terminé. Des voix parlent dans ma caboche : « Misère, je me jetterai bien un godet derrière le gosier après un coup pareil » suivi de « Bordel, maitrise-toi vieux débris», suivi de « Eh Ho ! On avait dit qu'on y allait progressivement, pas … »
Mais ces pensées agréables furent interrompues. L'arrivée d'un nouvel antagoniste avait pris la troupe au dépourvu, moi le premier.

Je rassemble alors mes forces, sort d'un geste nerveux ma lance et me prépare à charger l'archer qui nous menace.

« Ce n'est pas terminé. Restez sur vos gardes ! » Je m'écrie d'une voix ferme, puis en se tournant vers mon neveu.

« Evrard, ton équilibre nom d'un chien. Allez debout, arrête de faire le clown ! »

Je l'aide à se relever d'un mouvement ferme et assuré, en lui envoyant un regard qui veut dire « Tu vaux mieux que ça sacrénomdedieu ».
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