Douce solitude
#10

Je repensai soudain aux dernières pages que j'avais lues la veille.


Mon père... mon père a été fait prisonnier durant la guerre ! C'est une bien triste nouvelle, mais cela cause-t-il vraiment quelque trouble dans ton âme? Non. Il n'a eu que ce qu'il mérite. A trop vouloir jouer aux héros, on se noie. Mais? ... Néanmoins, ceci explique cela... Sois plus claire, veux-tu et cesse les énigmes ! Pardon, il est vrai que ce que j'ai appris hier dans ce bouquin m'a quelque peu perturbée. Tiens.. c'est la première fois que je m'excuse auprès de quelqu'un ! Tu ne l'as pas prononcé pour un être de chair et d'os. Je ne suis que ta pensée, une part de toi-même. Aussi, as-tu pardonné à toi même. Soit. Pour en revenir à mon père, j'ai découvert quelque chose d'étonnant à son sujet. Laquelle? Lors d'une de ses cocasses expéditions, il a été pris en capture par des nains. A Kromgar, il me semble. Ceux-ci l'ont identifié comme étant un soldat. Ce qu'il était bien sûr. Toutefois, il foulait le territoire nain à la recherche d'un artefact. Son but n'était pas de semer la terreur chez d'autres peuples. Et alors ? Par conséquent, cela explique sa disparition subite dans le foyer familial. Son emprisonnement, je te l'accorde, peut justifier ses années d'absence. Hélas, des mois durant, il s'en allait, te laissant seule avec une mère qui ne s'est jamais sentie concernée par ton éducation. Est-ce que cela suffit à lui pardonner entièrement ? Sois-en certaine, je ne cherche pas à lui trouver quelque excuse, car il fut un père absent, et plus mauvais que bon. Et comme tu l'as fait remarquer, je n'ai jamais pardonné à un être de chair et d'os. Ce n'est pas aujourd'hui que cela changera. Surtout pas lorsqu' il s'agit d'un être aussi stupide que mon père. Stupide ? C'est un bien faible mot...


De fines gouttes d'eau tombèrent sur le bout de mon nez. De véritables notes de musique.

« Quel régal », fis-je à voix haute.

Avec amusement, je recueillis les gouttelettes sur ma langue. Des perles d'eau glissaient sur mon visage, se logeaient au coin des lèvres et trouvaient en mon nez en trompette un perchoir. Pleine d'entrain, je me levai et tournoyai, les yeux vers le ciel ennuagé. A présent, la pluie battait le sol. Elle le creusait presque. La plupart des elfes citadins se seraient résignés à ne point sortir de leur demeure, mais pour moi, c'était la meilleure des raisons pour être dehors. La pluie frappait la terre à l'oblique en rythme avec le souffle du vent.


Alors que la pluie cognait mon visage avec violence, je me dis que l'absence de mon père m'avait causé bien du chagrin. Quelque part, il avait été mon héros. Et enfant, je lui portais tellement d'amour que j'étais tout bonnement incapable de lui en vouloir.

Comment tout cet amour avait-il pu disparaître dans le néant? Dans les faits, Elyope ne m'avait porté nulle atteinte. Pas de trahison. Juste des petits morceaux d'absence éparpillés aux quatre coins de mon existence. Des petites miettes de peur tout autour de la bouche. La peur de perdre son père, de ne jamais le voir revenir. La peur d'être abandonnée. Je me souviens avoir rêvé chaque soir d'un baiser, et plus particulièrement d'un baiser sur le front, symbole d'amour et de protection. Mais c'était de l'ordre du rêve. Or un rêve est précisemment ce qui n'a pas lieu dans la réalité.



La réalité à cette époque c'est que ma mère nous a lâchement abandonnés mon père et moi. Elle est partie et a fui ses responsabilités... elle a décidé qu'être parent était chose futile. Je dirais plutôt qu'elle avait conscience de ses devoirs de mère mais qu'elle s'en moquait. Durant des années j'y ai réfléchi. Et finalement, j'ai compris. Pour faire bonne figure elle accordait à mon père des faveurs. Partager sa couche et sa maison, accepter ses baisers : ce n'était que du faux-semblant ! Elle a réussi à créer l'illusion d'un foyer et d'une famille unie. Il est vrai, et d'ailleurs elle n'a plus supporté cette mascarade et s'en est allée au bras d'un autre. Ma mère, quelle comédienne ! Je la méprise tant que j'éprouve quelque douleur à l'appeler encore 'ma mère'. Sans scrupule, elle s'est joué de nous.. si bien que nos coeurs ont été meurtris. L'absence d'Elyope a suffi a justifier son départ. Selon elle, cette situation n'était plus vivable. Et pour toute consolation, mon père n'a eu qu'une misérable lettre. Une lettre que je n'ai jamais pu lire d'ailleurs. Tu étais trop jeune et tu commençais à peine ton apprentissage de la prose et de la poésie.


Ma tête me brûlait. Il me semblait que des flammes dansaient tout autour de moi et léchaient mes habits, mon visage, mon cuir chevelu. Les hautes herbes et les blés de la plaine fléchissaient ou se couchaient sous le vent quand soudain, dans le ciel, il y eut une détonation. Les vents s'enragèrent lorsque retentirent les premiers claquements de tonnerre. Je frissonnai. Mon visage était aussi trempé qu'un linge dans un lavoir. Aussi, la terre amoncelée par le vent venait se loger dans mes cheveux déjà emmêlés.

La nature est pleine de rage ce matin, pensai-je, avant de me lover dans mon immense cape.


Peu importe la raison pour laquelle ma mère est partie. Le fait est qu'elle s'est employée à mentir. Elle est très forte à ce petit jeu... La culpabilité a probablement rongé ton père après qu'il ait lu la lettre. Je le crois, en effet. Pour lui, sa femme était partie faute d'amour. Car à l'abandon. Car seule face à l'éducation de sa fille. Comment a-t-elle pu le convaincre d'une telle chose? Elle qui n'avait de cesse de le tromper. Peut-être ne l'aimait-elle pas... Pour sûr, elle partageait sa couche avec d'autres hommes ! N'a-t-elle pas eu honte? Et puis, cette histoire d'absence n'était vraiment qu'un prétexte. Elle même n'a jamais participé à mon éducation, laissant ce soin à des suivantes. La mère ne vaut pas mieux que le père... Oui et non. Désormais, je sais qu'Elyope était enfermé dans une geôle à l'odeur de mort. Je ne peux pas en vouloir à mon père de s'être fait emprisonné. Néanmoins, je peux lui en vouloir d'être un idiot fini et de courir après des rêves tout aussi idiots que lui. Quelle était donc cette obsession des artefacts? Voyons, cette quête est tout à fait discutable... et critiquable ! Là où il y aura de la richesse et de l'avarice il n'y aura que du mépris de ma part. Ainsi, loges-tu ton père et le commun des elfes à la même enseigne? Bien évidemment. Ils sont de la même espèce ces gens-là. Ma mère quant à elle n'était ni avare ni aventureuse mais une traîtresse et une lâche. Je ne sais pas ce qui est le pire..


La pluie, toujours, frappait, éclaboussait. Elle était mélodieuse, énergique. Aussi, dans une ultime réflexion et comme pour l'accompagner, je me mis à fredonner une chanson. Une chanson de mon invention. Un poème sans doute. Quelque chose qui n'était ni populaire, ni le conte d'un personnage historique. Seulement le résumé de ma propre histoire.



« L'indolence, la méprise perennes,
Ont mis jadis et naguère au creux de moi,
Une peur s'imprégnant des pluies diluviennes,
L'image de ces flèches que l'on empenne,
Qui vous touchent, mettent un peu de joie, de foi,
Dans votre coeur meurtri et cible des antiennes.

Il n'est rien qui ne m'a jamais rejouie,
Pas même la rencontre des parents aimés,
Souvenir douloureux de mon amour détruit,
Alors je suis éperdument ma destinée,
Fuyant tout abêtie ces êtres aveulis,
Dont l'esprit potelé musèle la pensée.

L'indolence, la méprise perennes,
Ont mis jadis et naguère au creux de moi,
Une peur s'imprégnant des pluies diluviennes,
L'image de ces flèches que l'on empenne,
Qui vous touchent, mettent un peu de joie, de foi,
Dans votre coeur meurtri et cible des antiennes.

Ma passion est pareille à ces fruits talés,
Que l'on écrase et dont on aime le cri,
Et dont la chair ou la pulpe est abîmée,
Car altérer peut être de tous les défis,
Le plus facile, relevé, réitéré,
Pourtant mes blessures sont faites et vernies. »
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