Lames d'Ombre
#5
Chapitre IV - La légende du Passeur de Clair-Obscur

- Aaaaaahhhhh...

Le réveil fut brutal, la respiration haletante et saccadée comme après une trop longue apnée. La confusion régnait, tant dans l'esprit du jeune sylvain que dans l'animation des corps autour de lui. Combien étaient-ils, là, autour de sa couche à s'affairer? Il ne pouvait les dénombrer. Tout n'était qu'ombre et lumière, comme lorsque l'on a fixé trop longtemps le soleil. Les tâches noires virevoltaient dans un mélange chaotique de nuances de gris, accentuant encore le trouble qui l'habitait.

- Garendil!.. Garendil!!... Réponds!!!...

Des voix s'adressaient à lui, ou du moins essayaient. Il les entendait, mais il ne répondait pas, le regard hagard. Ses yeux perdus dans le néant contemplaient en réalité l'immensité du monde.
Au-delà de Pelethor, au-delà du temps, au-delà des émotions, Garendil subissait en quelques instants le flot de milliers d'années d'expériences et de dizaines de vies vécues. Prisonnier des limbes de son inconscient, il ne savait comment se libérer de cette gangue qui le maintenait à l'écart du monde réel. Puis il se mit à pleurer.

Des flammes consumaient Pelethor, Mitriath n'était plus qu'un gigantesque brasier, l'âme de la forêt s'embrasait et ses habitants fuyaient. Toute l'eau de la Loreline n'aurait pu stopper cet incendie. Il était trop tard.

Les larmes coulaient sur son visage d'albâtre, l'agitation s'était tue, et il reprit conscience de son corps. La chaleur des larmes réveilla ses sens, l'odeur de la fumée s'atténua et le monde repris doucement ses contours. Ils étaient neuf autour de lui, certains à genou comme s'ils veillaient un mort ou récitaient une prière, d'autres, debout, le regard fixe semblaient attendre inexorablement le pire. C'est alors qu'un mélodie fendit l'air, comme une flèche fuserait d'un arc de Marliann l'ébéniste:

♪Danse, danse, petite flamme,
Roule, roule petite larme,
Coupe, coupe petite lame,
Baisse, baisse, baisse les armes,

Retourne à la nuit éternelle,
Embrasse la clarté si belle,
Et contemple juste le pas sûr,
De celui qui vient du Clair-Obscur.♪


La ritournelle avait précédé celle qui la chantait, mais lorsque son auteur pénétra dans la pièce sa surprise n'en fût pas moins grande. Voir de si près la plus noble des Bruseïn, la reine Silmarein, héritière d'Orn Lasgalen, souveraine de Mitirath était un insigne honneur.

Elle s'approcha du lit où reposait Garendil, sans même sembler relever la présence d'autres personnes dans la pièce.

- Venta mon ami, tu te nommes Garendil m'a-t-on dit.

Le jeune elfe ne s'attendant pas à tant de familiarité ne pu que balbutier un "oui" maladroit. Mais la souveraine reprit:

- Je comprends que tu te sentes si perplexe, les derniers mois ont été difficiles...

- Les derniers... mois??

- Oui, pardonne-moi mon jeune ami, de venir te brusquer ainsi, mais cela faisait près de trois mois que le sommeil des morts t'habitait. Et si je suis venue te voir dès ton réveil, c'est que celui-ci m'avait été... "annoncé" dirons-nous.


- Pardonnez-moi mais je ne crois pas très bien comprendre, avança prudemment le jeune homme aux cheveux de jais.

- Hmm, fit la reine se fendant d'une légère moue, connais-tu la légende du Passeur de Clair-Obscur?

- S'agit-il de la chanson que vous chantiez ma Reine?

- A vraie dire, je ne l'ai pas vraiment "chantée", mais le fait que tu aies perçu des paroles que très peu d'ouïes auraient su distinguer, me conforte dans l'idée que tu es bien celui que j'attendais. Effectivement la légende et la mélopée sont intimement liées. Te souviens-tu de la promesse de Vorkis à Edros?


Cette maxime, Garendil la connaissait depuis son plus jeune, âge, comme tous les jeunes Brumeïn de Mitriath, c'est donc sans effort, malgré son état, qu'il la prononça:

- "Si de ma bien-aimée forêt les rejetons de Randian tu m'aides à chasser, je te concéderai une place au sein même de mon Royaume. A l'ombre de mes plus grands chênes tu résideras, du fruit de notre alliance un brillant avenir naitra."


- Très bien, vois-tu, cette prophétie doit connaître un accomplissement, les dragons y veillent scrupuleusement. Lorsque ce moment arrive, ils envoient ce que l'on appelle des Lelyaïn Nim-Nulda ou Passeurs de Clair-Obscur, chargés de veiller à ce que leur volonté s'accomplisse en tant que témoins, ou acteurs des grands événements de notre monde. Les événements des derniers mois te concernant prouvent que tu es l'un d'eux.

Devant le regard médusé du jeune sylvain, Silmareïn poursuivit:

- Lors de ton sommeil et de ton réveil, tu as du voir des événements; ces visions sont une ombre d'un avenir probable; souhaitable, ou non. Il semblerait, lorsque l'on contemple les marques visibles sur ton avant bras, que Vorkis t'ai choisi pour être son héraut. Cela signifie sans doute encore assez peu de choses pour toi, mais pour nous, garants de Pelethor, cela indique que de grands bouleversements sont à venir. S'il te plait, raconte-moi ce que tu as vu.

Garendil, s'assit doucement au bord du lit, tata rapidement son bras noirci pour constater que malgré son aspect, la douleur en était désormais absente. Puis, il se mit à conter son rêve. Ses souvenirs étaient aussi clairs que s'il avait vécu les scènes qui s'y étaient déroulées, il n'épargna donc aucun détail à son interlocutrice. Terminant son récit par sa vision de Mitriath en flamme, il se risqua à croiser le regard de la souveraine.

Celle-ci lui rendit alors un sourire emplit de chaleur et de douceur. Puis jeta un regard à l'une des personnes présente dans la pièce qui acquiesça d'un mouvement de tête et sortit immédiatement.

Elle prit enfin les deux mains de Garendil dans les siennes et lui dit:

- Tu as accompli ta première mission avec courage, mon jeune ami. De nombreuses autres t'attendent, auxquelles personnes ne peut te préparer. J'ai demandé à Tunguiël de réunir une équipe restreinte et très expérimentée qui pourra t'accompagner. Prends le temps qu'il faudra pour te reposer, nous nous reverrons bien vite.

Sue ces dernières paroles, la souveraine se leva avec grâce et, suivie de quatre des personnes présentes dans la pièce, passa la porte de la chambre.

Le jeune homme au teint encore blafard, tourna alors la tête vers une des fenêtres de la chambre, donnant sur une vue splendide de Mitriath aux portes de l'automne. Il était dans une des plus hautes chambres du palais. Les questions se bousculaient dans son esprit déjà bien encombré, du temps il lui en faudrait à coup sûr pour comprendre tout ce qu'impliquait ces récits. Une chose était sûre, si Vorkis lui avait laissé un message, elle lui avait donné aussi la détermination et la volonté nécessaire pour le porter là où il le faudrait, et Garendil comptait bien le prouver, mais non sans profiter, au préalable, d'une sieste bien à propos bercé par une mélodie entrainante ♪ Cours, cours, petite flamme... ♪
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