La chasse
#1
Le Temple

En ouvrant les yeux, Melmoth eut du mal à reconnaître les lieux.
Ce n'est pas qu'il ignorait totalement Fryelund, mais ses dévotions au Dieu s'étaient faites rares ces dernières années.

Il dût cligner des yeux plusieurs fois pour en chasser les petites taches virevoltant en tout sens, tant le contraste était grand.
La voûte était loin au-dessus de lui, peut-être même au-delà de la portée de ses flèches.
Le chêne blanc de la charpente était tellement travaillé qu'on eut dit les branches d'un gigantesque arbre vivant.
Dans quelques espaces judicieusement placés sur les parements disposés entre les entrelacs de ce bois précieux, aujourd'hui presque disparu de la surface de Synca, on pouvait apercevoir le brillant du dôme en or qui faisait la fierté des Elfes.
Mille feux scintillaient sur les fresques murales ciselées magistralement dans le bois précieux et recouvertes de fines feuilles de métal repoussé, d'or et d'argent.
Les milliers de chandelles magiques qui ne s'éteignaient jamais éclairaient d'un jour infini l'histoire des Elfes et de leur Dieux gravée pour l'éternité.
Le rôdeur était de retour parmi les siens, dans le sanctuaire du temple de Fryelund à Asteras.

Pris de vertige dans cet espace immense, il dût encore patienter un peu afin de recouvrer la lucidité nécessaire pour commencer à comprendre toutes les implications de la situation.
Il s'assît lentement, observant les alentours avec prudence et respect.
L'endroit était désert à l'exception de trois prêtres situés à moins de vingt pas, reconnaissables à leur robe d'un blanc immaculé.
Apercevant que le rôdeur reprenait conscience, ils se tournèrent vers lui sans un bruit, attendant sans doute possible qu'il vienne à leur rencontre.

Avant qu'il n'esquisse le moindre geste, une vague soudaine de froide sueur passa sur lui, le faisant frissonner de tout son corps.
La peur.
Par réflexe, il se palpa les bras, le torse, le cou, passa une main dans ses cheveux défaits, observa jusqu'à ses jambes et remua ses pieds dans ses bottes.
Le frisson cessa instantanément.
Il était entier et nulle trace de blessure n'apparaissait sur lui.
Seule une légère marque ronde qu'il avait senti en touchant sa gorge et une petite gêne dans le dos auraient pu l'intriguer.
Il était faible mais jamais il ne s'était senti autant rassuré que sur l'instant.

Il était vêtu de sa tunique de cuir, assis sur sa cape d'esquive, la capuche abaissée dans le dos, et ses affaires étaient posées au sol à ses côtés : son arc avec sa corde en place, son carquois, son outre et son sac de voyage.
Rapprochant ce dernier, il l'ouvrit pour en faire l'inventaire et s'étonna de son poids inhabituel.
Il recelait des champignons divers, du pain et du jambon, une étrange fiole bleue dont il n'avait pas souvenir de l'usage, des fleurs.
Et avec tous ces objets, un étrange étui de cuir rouge couvert de runes incompréhensibles.

Aussitôt, un violent choc le fît perdre connaissance, pendant moins de temps qu'un battement de cils, mais avec une violence inouïe.
Il se souvint instantanément avec une netteté incroyable, comme si les évènements se déroulaient sur l'instant même : le discours sur la place, la marche forcée, sa rencontre avec le chasseur Nain, les mines, la cité des Nains...
La suite était moins claire.
Il avait conscience de lumière tamisée, de murmures, de pavés froids.
Un goût métallique se fit dans sa bouche tandis que plusieurs points précis de son corps le piquaient, comme si on enfonçait un doigt avec force en un endroit précis.
Un doigt ou ... un carreau d'arbalète ?

Une nouvelle frayeur le balaya et il sentit une vague de chaleur qui passait sur son visage.
Aussi soudainement, elle disparut et le rôdeur revint à la réalité.
Un coup d'oeil vers les prêtres lui indiqua qu'il n'avaient pas bougé, comme si tous ces souvenirs avaient été instantanés.
Il se releva avec peine, tenant à peine sur ses jambes.
Il ramassa ses affaires, rabattit sa capuche sur sa tête et se dirigea à pas lents vers les clercs.

Arrivé à leur hauteur, il déposa ses affaires et mit un genou au sol, la tête courbée.
Les parole lui vinrent naturellement :
"Que Fryelund bénisse la reine Asthalia et le peuple Elfe. Que le peuple Elfe et la reine Asthalia chérissent le Dieu protecteur de l'Empire. Je m'incline et dévoue mon âme au Dieu éternel."
Alors le prêtre doyen, reconnaissable au fil d'or ceint à son front, tendit une main légère pour l'appuyer sur l'épaule du rôdeur et répondit :
"Fryelund entend tes paroles et sa protection t'es acquise tant que durera le temps des Elfes"
Une grande fatigue étreint l'Elfe tandis que le Dieu lui retirait un peu vie en échange de sa protection.

Tandis qu'il se relevait et ramassait à nouveau ses affaires, un des prélats prend la parole :
"Ton âme et ton corps ont été purgés de toute souillure par Fryelund.
Quel qu'ait été l'objet de ta visite au pays des rêves, Dieu t'a donné une autre chance de prouver ta dévotion à sa grandeur."

Après une pause, le prêtre reprend la parole :
"Tu es un rôdeur, n'est-ce pas ? Tu es même plus que cela, toujours aux limites du monde connu et de la légalité !
Il semble que tes pas t'ont mené seul trop près de tes ennemis et que tu ait sous-estimé leurs forces, ou sur-estimé les tiennes.
Nous ne sommes pas en droit de te juger, mais nous pouvons te conseiller.
Il est des chemins qui ne mènent nulle part et où Fryelund lui-même ne pourra te porter assistance.
Tu ne pourras alors compter que sur toi-même ... ou tes compagnons.
Nous ne pouvons que t'encourager dans ce sens.
Les Elfes ne sont jamais plus forts que rassemblés et solidaires."


Vexé par ces remarques, sachant pertinemment à qui il s'adresse, le rôdeur prend la parole à son tour d'une voix sèche et froide :
"Il n'est pas d'endroit, prêtre, ou Fryelund ne voit ce que les Elfes endurent et peut-être même guide-t-il leurs pas sans que vous n'en soyez informés.
Certains chemins sont en effet dangereux. J'en assume le choix.
Néanmoins, ma voix sera toujours dans le choeur des Elfes pour louer la grandeur de Fryelund."

Adoucissant sa voix, il reprend :
"Merci pour vos conseils, gardiens.
Mon esprit est apaisé par vos paroles et mon dévouement renouvelé à Dieu.
Je requiers aujourd'hui vos soins pour mon corps meurtri ... par certains Nains."

Il avait dit ces derniers mots en serrant les dents.

Les prêtre se regardaient avec hésitation. Et puis le doyen s'avança vers le rôdeur.
Les deux mains jointes devant son visage, les yeux fermés, il commença à réciter des incantations incompréhensibles pour le rôdeur.
Les deux autres prêtres marmonnaient derrière lui, les bras ouverts, paumes tournées vers le haut, la tête rejetée en arrière.
Après quelques secondes seulement, les mains du soigneur semblaient vibrer d'une énergie incroyable.
Lorsqu'il apposa sa main sur le front du rôdeur, celle-ci lui semblait brûlante, mais il n'osa pas la repousser.
Instantanément, il sentit ses forces revenir.
Il sentait son sang circuler en lui comme réchauffé par la main du soigneur.
Puis la main lui parut soudain très froide en contraste avec l'instant d'avant.
Le soigneur retira sa main et manqua de s'effondrer au sol, rattrapé de justesse par le rôdeur.
Inquiet, celui-ci fixa les deux autres prêtres qui semblaient moins affectés et s'approchaient à grands pas.
Le doyen se reprit aussitôt :
"Je vais bien, rôdeur, les soins requièrent beaucoup d'énergie."
Gêné, Melmoth se redressa, regardant tour à tour avec respect chacun des prêtres devant lui avec un geste de la tête en signe de remerciement.
S'inclinant tout en reculant, une main sur la poitrine, il dit :
"Asthalia doit être honorée d'avoir à ses côtés d'aussi puissants soigneurs.
Et Fryelund d'aussi dévoués serviteurs.
Je vous dois une faveur.
Je ne l'oublierai pas."

L'Elfe fit demi-tour et s'approcha des portes ouvragées du sanctuaire, qu'il poussa lentement.
Dehors, le jour se levait à peine et l'immense cour du temple était encore déserte.
Aucun signe de vie n'était visible dans les allées couvertes de tuiles bleues qui couvraient les grandes colonnes entourant lieu de culte.

Dans quelques heures, il y aurait d'innombrables Elfes à s'incliner pour honorer leur Dieu.

Le rôdeur s'engagea vers l'entrée monumentale du Temple.
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