De battre mon cœur s'est arrêté.
#1
Au retour de Hobbes avec Quoth...

Hobbes l'avait lâché dans sa « chambre ».
La famille Goupil et son clan avait toujours été abrité dans la ruine d'un ancien manoir, ou tout du moins ce qui en restait. Ils étaient assez riches pour des pauvres, mais pauvres pour des riches. C'était tout le paradoxe de la chose qui choquait tant les hélions et fasciner les autres hommes-bêtes, trop bêtes ou ignorants pour se rendre compte que la grande porte de l'entrée n'était qu'une tapisserie pour cacher les vilaines choses qui avaient toujours habités ici et là.

Quoth savait, elle. Elle avait toujours vécu ici. Elle en avait surpris des choses, de son curiosité morbide. Des choses interdites. Elle passa la journée ainsi, couchée sur la couche de paille qui lui servait de lit. Au moins avait-elle le droit à un drap de lin, troué ici et là, mais au moins elle en avait un. C'était ce que disait Grand-Père Grizzly.
C'est vrai, Quoth. Ils ne sont pas obligés… Tu devrais comprendre, et te sentir honorée.
Honorée ? Elle eut un rire mauvais, entre ses canines aiguisées au goût de sang.

Il fallait qu'elle se lève, mais son ventre était trop serré pour faire quoi que ce soit. Elle était encore fatiguée, encore sale, encore… encore trop secouée, peut-être.
Ses doigts sous sa chemise de lin dégagèrent de son sein le cœur de celui qu'elle avait vu vivre, mourir, renaître et mourir à nouveau. Voilà qui était étrange… Elle n'était pas triste. Elle n'était pas heureuse non plus. A mi-chemin entre le soulagement et l'espoir. Quelle drôle de chose…

Elle posa sur le lit le cœur qui attendrait, là, car elle en avait décidé ainsi.

Elle se releva, un peu sèchement, vacilla, et retomba dans la paille avec un petit gémissement de furie en douleur. Son dos était cassé. Ses côtes au moins. Quelque chose bloquait. Elle se tortilla comme une anguille, cherchant à remettre en place son corps, ses idées, son âme. Son âme ?

Tu n'as pas d'âmes, Quoth…

Le corbeau était de nouveau là.
Le bâton se releva de lui-même et le corbeau s'y percha, d'un air sévère.

Repose-toi un peu, petite sotte.
Je ne te sauve pas pour que tu t'amoches davantage !


Elle lui jeta un sale regard avant de ricaner, d'un rictus empreint de saleté. Elle se redressa de nouveau sous le regard accusateur de piaf. Elle le détestait. Lui. Et le lynx. Elle les détestait tous les deux. Elle détestait aussi Goupil… Mais dans le fond, cette haine était sa force, et serait sa force.
Elle avait vu. Elle avait compris. Son chemin s'était dévoilé sous ses pieds. Elle était prête.
Estalia qu'elle était prête ; elle ne l'avait jamais été autant.

Ne me donne plus d'orrrdrrre, corrrbeau. Tu n'en as plus le droââ.
Prrrotèges-moâ et je vivrrrais. Abandonne-moâ et je mourrrrais.


Mais dans tous les cas, n'ouvre plus jamais ton bec pour autre chose que cela.


L'animal renfonça sa tête dans son plumage d'un air aigri en observant l'étrange petit bout de femme se relevait une énième fois mais cette fois-ci avec succès. Elle jeta un regard à son ventre puis à son flanc qui s'était en effet ré ouvert. Le sang ne coulait plus cependant. C'était déjà une bonne chose.

Elle passa sa main sur sa plaie, de l'eau se mit aussitôt à flotter autour pour finalement laver le sang collant à sa peau avec douceur, comme si chaque goutte n'aurait voulu tirer une grimace à la terrible Quoth. Ce fut bien ce qui se passa ; quelques minutes plus tard, la plaie était propre et nettoyée, et Quoth n'avait pas cillé. Même si elle avait eu mal, elle n'aurait pas cillé, pas crié, pas vrillé.
Plus jamais.

Elle avait le regard de ceux qui ont vieilli de cent siècles en une nuit. Elle avait vu. Elle avait découvert les chemins qui se tracent sous les pas des vrais chamans… et plus exactement, elle avait affronté Estalia.

Et elle avait gagné.
Elle l'avait gardé, et Estalia l'avait perdu.

Son sourire se fit plus long, plus fin. Plus sournois également.

Elle venait d'avoir une idée.
Pas une idée de génie, non, plutôt d'efrit à choisir.
Une vilaine idée de très vilain efrit… Voilà qui était beau.

Elle laissa le temps s'écouler, et il s'écoula longtemps.
La fatigue prit le pas sur le reste.
Elle s'écroula, et dans les néants retrouva la candeur de son enfance, la douceur de la chaleur, le réconfort de la chanson. Elle chantonnait, les yeux clos, et retrouvait les champs qui avaient jadis été ceux de son enfance. De la petite ruine qui leur servait de maison, de ce petit marécage crasseux dont elle émanait, mais qui lui avait toujours paru si beau…

Elle se réveilla au crépuscule du troisième jour. Il faisait froid dehors, si froid… Mais bien moins froid que le jour où elle était née. Bien moins froid que dans le marécage d'où elle venait.
La jolie fleur ouvrit ses yeux bleus, guettant les alentours. Il n'y avait personne, si ce n'est le vieux Emmett au bout du lit. Il la fixait. Avec ses yeux là… Elle lui jeta un regard insolent, relevant lentement ce corps fatigué mais pansé. Quelqu'un était passé, et elle n'avait rien vu. Rien sentit non plus. Une lueur de dégoût s'afficha au fond de son regard, saluait par un sourire furibond de l'Oncle Goupil qui recula, disparaissant dans l'obscurité.

Elle pencha la tête, mais sa nuque endolorie partit sitôt vers l'arrière.

La fièvre.
Elle la sentait tamponner dans ses tempes. Douloureuse. Traitresse…
Elle aggripa un oreiller, le ramenant contre elle.

Un oreiller ?
Elle n'avait jamais eu d'oreiller avant…

La fièvre la fit rire, bêtement.
Là elle s'imaginait ailleurs, et ailleurs c'était loin d'ici, loin de tout, loin d'Emmett et de ses yeux fébriles, loin du fardeau de l'existence, loin de la douleur, dans un berceau fait de pétales de fleur de mana aux couleurs cramoisies, abreuvée éternellement du sang de ses victimes.
Quel doux rêve, quel doux songe… Quelle tendre…

Quoth.

Elle releva les yeux, quittant le touché lacté de l'hémoglobine.
Ses iris céruléens tombèrent sur lui. Il était là. Si proche. Si loin.
Son ventre se serra, son cœur s'accéléra, se réveillant dans sa poitrine. Il eut un rire. Un rire. Encore un. Plus grand. Plus fort. Et sa bouche se mit à pleuvoir comme une fontaine de sang, et ses yeux suintèrent sur son visage, glissant, pendant mollement au bout de ses nerfs.

Non !

Quoth.

Non !

Elle voulut courir après, l'aider, mais le rire continuait, et elle hurlait, plus fort, moins forte en même temps. Elle le vit s'ouvrir comme une fleur immense et son cœur servait alors de pistil.

Non !

Quoth !

La voix tonna et elle sursauta, le regard paniqué, perdu, le front en sueur. C'était Vezin. C'était Vezin et son drôle de masque. Vezin. Seulement… Vezin. Il la fixait d'un air terrible. Sans doute qu'elle avait trop bougé. Trop hurler. Trop.
Elle retomba mollement dans les draps noyés de peur, et fermi les yeux, d'humeur docile.

C-Combien de t-temps… ? Sa voix ne chantait plus, ne roulait plus. Elle était usée.

Il ne répondit pas.
Cela signifiait longtemps. Elle renifla, sans mot dire, alors qu'il se levait avec cette mine, mélange de perplexité et de plaisir. Elle jeta un regard à la porte, cherchant dans la pièce quelque chose… mais il n'était pas là. Ni l'un, ni l'autre d'ailleurs.

Tu es faible, mais nous nous en occuperons en temps voulu.

Elle resserra ses doigts autour du drap que l'on avait mis sur elle pour éviter qu'elle n'ait plus froid encore. Vezin, lui, quitta la pièce comme ça. Comme une nuée de brume. Sans rien dire. Elle le détestait quand il faisait ça. Elle les détestait tous ici… Elle les détestait tellement…

Elle serra les dents et referma les yeux, fatiguée, le front encore brûlant mais moins que la veille, et encore moins que l'avant-veille. Petit à petit, Estalia gagnait sur les songes de mort. Estalia la garderait sa petite protégée, celle qui avait su la défier.

Estalia garderait celle qui a survécu.
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