A la poursuite de Callisto.
#6
La légende de l'ours blanc nommée Callisto était assez mal connue, mais Yava ne doutait pas qu'un centaure, cet ami si proche de la nature, avait pu dire une once de vérité à un elfe sylvain. D'ailleurs, elle doutait rarement des choses qu'on lui disait, pourvu qu'elles fussent cohérentes pour elle. Elle se laissa guider du début à la fin, mangeant ses fines lamelles de viande, ses grands yeux vert figés sur la figure de son congénère. Ainsi donc, un centaure avait croisé un ours blanc aux yeux d'émeraude, dans des latitudes où il n'y avait que très peu d'ours avec un tel pelage ? Soit il existait deux ours, soit Callisto s'avérait plus présente dans la forêt que ne l'aurait cru son père.

En fin de compte, Yava se rendit compte que ça ne pouvait pas être Callisto. L'ours dont lui avait parlé son père était sanguinaire et folle de rage, furieuse dans la forêt et sa colère ne tarissait qu'au fil du sang qui abreuvait les racines de son antre. Jamais ô grand jamais elle n'aurait invité un centaure ; au contraire, le trouvant endormi, elle l'aurait mise en pièce, décorant la nature des viscères de la créature, comme pour fêter quelque chose dont elle ignorait encore l'étendu. A la place de se poser des questions, elle se disait tout simplement que l'ours tuait car elle en avait envie.

Cependant, la dernière phrase de Crépuscule eut un petit impacte en elle. Comme une révélation. Son petit sourire de fouine s'étendit, élargissant ses lèvres rose thé, et elle le regarda d'un air chafouin et joueur, comme une enfant qui découvre un autre petit garçon :

« Ce voyage m'aura au moins fait connaître un conteur d'histoire qui oubliait la fin. »

Un petit rire remonta et perça le silence de la forêt. Ici une chouette hululait, plus loin un loup appelait ses petits. La rousse eut un sourire attendri, et sur son visage dansait les ombres dessinées par le feu crépitant. La lune était déjà haute quand la rousse jeta dans les flammes quelques brindilles pour le ravivait de belles couleurs orangées.

« L'Ours que je cherche est unique. Un démon antique dit mon père, un ours au pelage blanc et aux yeux d'émeraude. De longues griffes rougies par le sang qui jamais ne sèchent au bout des pattes pour seule arme, elle hanterait une partie de la forêt, tapie dans une grotte qui, pour qu'elle survive, ne doit pas s'assécher en sang. Il y a de cela quelques années, mon père s'est retrouvé face à cette dernière, et elle lui arracha un bras dans une lutte terrible contre lui. Depuis ce jour, où il s'en est heureusement sortit vivant, elle le hante. Comme un fantôme… »

Elle baissa un instant les yeux, ses longs cils ombrageaient alors ses pommettes. Elle eut un sourire, un petit sur le coin des lèvres, relevant finalement ses prunelles de jade.

« C'est ma mission. Callisto est ma quête. »

Elle eut un petit sourire, amusée, et finalement reprit la conversation – plus légère – sur la fameuse blessure qui toujours la grattait. Ils parlèrent quelques longues minutes, peut-être même des heures, jusqu'au hurlement lointain du loup qui sonnait dès lors le début de la nuit. Elle se coucha auprès du feu, en face de son nouveau compagnon de route.

Et le sommeil rapidement s'abattit sur elle, comme la fatigue de cinq lunes pouvait fondre sur un être vivant en quelques minutes.

Son rêve, lui, contenait des images, des vapeurs. Quand elle rouvrit les yeux, c'était sur un monde pareil au sien, fait de végétaux et d'eau. Un petit ruisseau coulait à côté d'elle, et de longues tiges tout autour bordaient la rive, surélevées par des joncs marrons. Les troncs immenses des conifères formaient le bois. Un peuplier ici s'était cassé en deux, dévoilant son bois clair et sa sève. Yava eut une grimace d'horreur, s'approchant à vive allure et glissant ses doigts dans le sang de l'être végétal, marmonnant un juron. Qui avait pu oser ? Si elle n'avait pas été dans un rêve, sans doute aurait-elle pleuré. Ses yeux glissèrent sur le bois détruit. De profondes entailles étaient faites tout autour de la fracture, des entailles faites à coup de griffes. Elle se pencha, renifla, et sentit l'odeur des ours, caractéristique, pour finalement grimacer et se redresser. Callisto.

Ses sens à l'affût, elle sortit de son fourreau l'unique épée que son père lui avait donné avant de partir. Un regard circulait, mais personne n'attendait. Elle remarqua aussitôt après le feu de camp éteint sur le sol et se pinça les lèvres. Le feu était là, mais Crépuscule avait disparu. Elle commença à avancer, et remarqua sur le sol de grossières traces de pas. De pas d'ours. Ses pommettes rougirent mais d'effroi. Est-ce que la diablesse avait dévoré son ami ?! Sa raison lui criait que oui, mais son cœur criait l'inverse. L'espoir faisait vivre. Elle n'avait pas le droit d'abandonner aussi facilement. Elle commença à remonter les traces, mais plus elle avançait, plus la brume tombait autour d'elle, étouffante, oppressante. Ça avait tout l'air d'un piège, mais s'il y avait une chance de sauver Crépuscule, elle se risquerait à ce jeu.

Epée à la main, le regard vif, la brume commença à prendre des airs de vapeur, comme si le sol recrachait une vapeur délirante. Elle inspira de plus en plus d'air, et plus ses poumons s'en gonflaient, plus elle se retrouvait lourde et fatiguée, comme si elle avait été drogué. Le sol était tapis pourtant de rares champignons, banals. Rien qui aurait pu lui faire du mal.

Un rugissement retentit bien plus loin, la faisant sursautée, épée levée, prête à fendre une masse qui se serait présenté, mais rien. A nouveau le silence, le silence inhabituel et dangereux de la forêt qui s'est tue pour laisser place à l'action. Yava fronça les sourcils, fit un pas de plus et là, dans la brume, deux yeux brillèrent. Deux yeux verts. Vert pâle, luisant dans le nuage formé par la vapeur et la brume. Les mains du jeune druide commencèrent à trembler, violemment. La chose avait l'air immense dans la brume, immense…comme un ours ! Elle recula d'un pas, et la chose avançait d'un pas. Elle trembla plus fort, ses mains se serrèrent davantage sur son épée. Elle leva la lame d'acier, quand tout d'un coup, la chose sortit de la brume, laissant place à…

« Crépuscule ?! »

Un sursaut eut réveillé l'elfe sylvaine. Ses yeux, effarés, s'ouvrirent et elle se redressa aussi sec, tellement vite qu'une violente douleur lui traversa les deux tempes. Elle grogna et rouvrit les yeux, cherchant le druide, mais il n'était plus là. Yava se releva, à la va vite, les cheveux encore en crinière lourde, formant comme une flamme à l'arrière de sa tête. Elle regarda aux alentours, mais personne n'était là. Le feu était éteint, un arbre avait été cassé, ou peut-être était-il cassé depuis la veille ? Elle n'en savait rien, elle n'y avait pas fait attention. Elle se retourna, et au loin, quelque chose brillait.

Callisto ! Dans sa tête, c'était une évidence. Elle se mit à courir, les larmes aux yeux. Pourvu que ça ne soit pas trop tard, criait sa petite voix intérieure alors qu'elle sautait au-dessus des racines sorties du sol, pourvu qu'il ne soit pas mort… Arrivée près des deux lueurs, elle sortit son arme, furieuse, la brandit devant elle et…

« Mais… ?! »
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