Douce amertume
#2
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La mémoire est d'or




« Dépêchez-vous de terminer votre repas, je vous emmène prendre votre bain. »


A ces mots, je crus devenir folle. Tout ce petit rituel m'agaçait, mais je n'avais pas le choix. Aussi, je me gardais d'exprimer ma lassitude et suivais-je toujours, avec docilité, les domestiques.


« J'arrive », marmonnai-je.



Alors que nous marchions dans le couloir, une tapisserie au mur attira mon attention. Je m'arrêtai un instant, sans que l'autre n'en vit rien, et fixai l'objet suspendu. La clarté du jour rendait visible tous les grains de poussière endormis sur l'ouvrage immense. On y représentait une partie de chasse dans un sous-bois, un cerf et deux Hauts-elfes encapuchonnés. Un sentiment étrange s'empara de moi. Comme si j'avais moi-même vécu la scène.



Cela te dit quelque chose à toi ? Non, non... Regarde donc ! C'est ce que je fais très chère. Hélas, je ne saurais t'être utile. Nous devrions chercher plus rigoureusement dans notre mémoire. Ah ! ... quoi donc ? Un indice ? Il m'arrive de penser que tu es obstinée, parfois plus que tu méprises les tiens. Sans doute suis-je comme tu dis mais ne me fais pas attendre davantage ! Qu'as-tu trouvé ? La tapisserie dessine un lieu qui m'est familier et puis ces personnages, ils le sont tout autant. A moi, cela ne dit rien. Et pourtant, je ressens quelque chose face à ce tableau de tissus. Je ne peux te dire quoi. Cela ne m'étonne guère ! Depuis des siècles ton corps se repose dans une maison d'Asteras, Cité que habituellement tu détestes. Il est évident que tu n'as plus toute ta tête ! Les souvenirs t'échappent, ils s'enfuient et te laissent là, innocente, sans la moindre vérité. Pourquoi n'aimerais-je pas Asteras ? N'est-ce pas la ville la plus rayonnante du royaume, une ville de commerce et de culture ? Eh bien, du plus loin que je me souvienne, tu n'as jamais apprécié cet endroit. Il t'inspirait le mépris. Ses tours d'ivoire prétentieuses qui prétendent toucher le ciel, son cercle de bronze qui ose défier l'éclat du soleil, les maisons exagérement décorées... sans compter la population ! Tu l'as toujours pensé, les elfes sont imbus d'eux-mêmes. Tu ne les as jamais aimés ; tu les as toujours méprisés... Alors, que fais-je ici ?


« Otez votre robe ! », m'ordonna-t-on soudain.


Je ne compris pas tout de suite que cette injonction m'était adressée. De fait, je portais rarement ce genre de vêtement. A moi, petits souliers en vélin et tunique en lin ! Exit les jupons, les habits de soie ou les froufrous ! Cependant, c'était bien à moi que l'on parlait.


« Faites donc mon enfant ! » s'impatienta la femme.


Pourquoi m'appelait-elle ainsi ? Quelle âge avais-je ? Sans doute, si je les lui posais, ne répondrait-elle pas à mes questions. Je n'avais plus qu'à m'exécuter et à me dévêtir, comme à ses souhaits. Et j'avais beau essayer, cela m'était impossible. Rivés sur moi, les deux yeux de la domestique, me mettaient dans une inertie complète. Incapable de me mouvoir, je restai là, sur mes jambes, immobile.

Quand l'inconnue comprit que sa présence me gênait, elle se retourna, et comme je demeurai sans bruits, elle s'en alla. A peine eut-elle fermé la porte derrière elle, le sourire me revint. J'étais seule. Enfin.

Tout en faisant glisser lentement les manches de mon vêtement sur mes épaules, je découvrais la pièce d'eau du regard. En m'attardant sur les murs, je remarquai combien les mosaïques étaient ciselées et qu'il était des miroirs brillants tels que je n'en avais jamais vus. La salle était emplie d'une lumière tiède et douce, de sorte qu'on s'y sentait bien. De sorte aussi qu'on pouvait y être nu. Je fis rouler les tissus jusqu'à mes genoux, puis jusqu'à mes mollets et enfin jusqu'à mes chevilles. Puisque je n'étais en compagnie que de moi même, me trouver dans le plus simple appareil ne me gênait point. J'avais tout mon temps pour pénétrer dans l'eau fumante du bassin, personne pour m'y obliger, me hâter.

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