19-01-2012, 06:36:47
Magie, magie, c'est la cuisine d'aujourd'hui.
- Bah... on a droit a dix pour cent de pertes, non ?
La réponse avait fait sourire intérieurement le supérieur, mais n'arrangea en rien les affaires d'Absoreck.
Il avait été démis de ses fonctions en tant que chargé de missions, avait été mis a pied du poste d'instructeur de combat, et s'était vu retirer sa médaille de méritant.
Comme solde de tout compte, on lui donna cinq cent pièces d'or en main propre et on lui assura qu'une pension militaire minime mais régulière lui serait versée sur un compte à son nom à la banque d'Asteras. Il reçut un sac comportant cinq bandages, une potion de vie et une potion de mana - il se demandait bien ce qu'il pourrait faire de cette dernière –. Quelques menues victuailles vinrent compléter ce paquetage, puis on le lâcha poliment devant la porte de l'enceinte militaire.
Pour y avoir roulé sa bosse depuis si longtemps, il connaissait Asteras comme sa poche. Et pourtant. C'était terrible. Il était totalement perdu. Plus de trois cent années a exécuter les ordres sans discuter, et soudain... rien à faire, pas de comptes à rendre, pas d'ordre de mission. Il tournailla longuement au hasard des ruelles et finit par parquer son véhicule à côté d' un banc de granit dans un parc, observant longuement la course des escargots sur la pierre, puis il se mit a jeter quelques morceaux de ses tranches de pain aux pigeons. Du pain et du jambon... Un repas de roi. Les patates au lard, servies avec une assiduité exemplaire par la cantinière trois fois par jour, même lorsque les Holdars étaient sous les murs, n'allaient certainement pas lui manquer longtemps. Les outres d'eau de son paquetage d'adieu par contre faisaient pâle figure face à la gnôle qui s'échangeait dans le camp.
Il allait rapidement s'en apercevoir, ce qui n'allait pas lui manquer non plus était l'infirmerie du centre militaire. Voulant corriger un garnement qui lui avait manqué de respect en chassant ses pigeons, il fit une malencontreuse chute de sa chaise roulante et s'ouvrit pour une énième fois l'intégralité des cicatrices des ses membres anciennement tranchés. Jusqu'ici, à chaque colère qui le faisait sortir de ses gonds, ou plutôt de sa chaise, et qui ouvrait ses mauvais souvenirs, on l'amenait au médecin du centre. Mais maintenant qu'il était un banal civil, le brancard prit une autre direction.
Absoreck fut abasourdi par la différence de traitement entre ce qu'il avait vécu à l'hôpital militaire et ce qu'il voyait devant lui au Temple d'Asteras. Il n'y avait ici aucun fou furieux armé de scalpels qui préconisait une saignée par jour pour mieux souder ses ligaments. Les prêtres et prêtresses ne voyaient que peu de difficultés dans le fait d'user de quelque magie afin de lui rétablir les chairs.
Pendant que le religieux qui l'avait pris en charge officiait, il se voyait déjà de retour aux séances d'entraînement, courant de mannequin en mannequin, maniant l'épée devant une foule d'élèves impressionnés, retournant en mission dans les terres inexplorées et faisant la tête au carré au notable qui l'avait fait radier.
Mais il déchanta bien vite une fois l'opération terminée, quand le prêtre lui annonça :
- Attention tout de même, vous ne retrouverez plus votre aisance d'antan, mais vous pourrez faire une utilisation ordinaire de vos membres, suffisante pour marcher par exemple, peut-être en boitant un peu, mais amplement suffisant en tous les cas pour remplir vos paperasseries administratives et chercher votre pension à la banque.
Tout à chacun aurait été plus que ravi d'apprendre que ses blessures handicapantes à vie n'étaient presque plus visibles ni gênantes, et que les seules séquelles seraient une légère claudication et une difficulté a faire des mouvements rapides, mais c'était Absoreck. Il répondit, dans une rage sourde :
- Mais je ne peux... je ne veux pas me contenter du commun des immortels ! Il faut absolument que je retrouve la dextérité hors de pair que j'avais antan, que je puisse grimper des murailles, creuser des tunnels, assassiner qui je veux quand je veux...
Le Saint Elfe lui répondit d'un air agacé qu'il faisait de la magie, pas des miracles, et que s'il était si fort, il n'avait qu'à apprendre la magie lui-même et faire de l'auto-médication.
Absoreck s'en fut en claudiquant et en maugréant, ne laissant derrière lui qu'une chaise roulante en guise d'obole. Avant de sortir de la grande salle, il marqua un instant d'arrêt devant un vitrail majestueux, troublé et oublieux l'espace d'une seconde de sa colère, mais trop remonté contre ces bons à rien d'ecclésiastiques, il reprit rapidement sa route et sortit du Temple en maudissant la divinité des lieux.