20-12-2011, 06:42:57
Mission : impossible.
Depuis près de trois cent années, Isilgath était au service de l'armée, généralement en tant qu'instructeur à Asteras, parfois occupé en terre hostile par l'une ou l'autre des missions aussi discrètes que sans importance qu'on lui affectait, ainsi qu'à ses compagnons d'arme. Le plus souvent, elles étaient d'une simplicité extrême, aller, tuer, revenir, le dernier point étant optionnel. Puis, avant qu'ils ne gagnent la guerre, était venu le temps des missions contre les Holdars, connues pour être celles où l'on part et dont on ne revient point, et desquelles il était toujours revenu aussi, parfois victorieux, parfois défait, mais toujours vivant et sans avoir jamais fui son devoir. Mais cette fois, ils avaient affaire a un ennemi particulièrement subtil : une tribu d'orcs.
Dans l'imaginaire collectif des elfes, les orcs sont de gros paquets de muscles destinés à agiter un cimeterre, surmonté d'une boite creuse servant à émettre des cris : c'est parce qu'ils les confondent souvent avec les gobelins. La réalité du terrain était toute autre : fins stratèges, possédant des unités d'archers, de magiciens et des combattants hors pair, travaillant de concert dans une organisation digne d'une symphonie, voilà la définition d'une tribu orc. En tout les cas de celle à laquelle ils s'était heurtés. Isilgath n'était pas devin, mais il dû se rendre à l'évidence en regardant les boyaux de ceux qui avait été ses compagnons : sa mission avait échoué.
La masse d'arme qui s'abattit sur son casque de cuir – Isilgath n'était pas adepte du traditionnel casque elfique, trop lourd et trop voyant - lui confirma son intuition.
- Je ne sais rien.
Il s'était réveillé attaché, maintenu debout sur ce qui devait être un couple de poteaux obliques formant une croix, et s'évertuait calmement à répondre après chaque coup de poing ou de pied :
- Je ne sais rien.
Son bourreau, un orc d'une grande taille dont la musculature saillante contrastait fortement avec le prisonnier elfe, connaissait la langue commune et œuvrait seul. Son fort accent orc était pour Isilgath le supplice le moins supportable. La petite cour emmurée était vide, à l'exception d'une table très fruste, parsemée de quelques objets métalliques destinés à la question, d'une plante en pot et d'un sablier. A côté de la table se trouvait aussi un brasero rougeoyant, lui aussi garni d'outils non destinés à la réparation. L'orc en saisi un afin de passer à quelque chose de plus sérieux. Outre la douleur infligée, utiliser une lame brûlante avait l'avantage de cautériser directement la plaie et donc de garder la victime en vie.
Mais les quelques tentatives au fer débouchant sur la même inlassable rengaine, quoique récitée sur un ton un peu plus crispé, le bourreau n'insista pas plus avant et quitta la cour. Il revint si rapidement accompagné de ce qui devait être un chaman, qu'il était presque évident que cela était prévu d'avance. Ils échangèrent quelques propos dans leur langue puis le nouveau venu commença a disposer autour de la croix des encensoirs auxquels il mit le feu.
Lorsqu'il inhala la fumée qu'ils dégageaient, Isigath eut un sentiment d'intense excitation qui lui remontait le long des reins.
Tout devint trouble, et devant lui apparurent des formes qui se mirent à danser... Des ombres confuses, des nuages vaporeux qui peu à peu se condensaient. Des visages féminins, des nymphes ou peut-être des elfes a la voix suave et aux mains expertes qui lui posèrent mille questions dans une langue qu'il ne connaissait pas, et dans laquelle il répondit. Et comme elles avaient éclos, elles s'évanouirent peu à peu.
Son dernier souvenir fut vaguement celui d'une elfe au visage indiscernable qui lui disait :« tu es moi ».
Lorsqu'il reprit enfin ses esprits, il ne restait plus dans la cour que le bourreau, absorbé dans la contemplation de son poignard qui chauffait dans les braises du brasero. Tiré de ses pensées certainement machiavéliques, il déclara au supplicié :
- Nous n'avons plus besoin de toi, mais j'ai préféré attendre ton réveil pour te tuer. J'aime savoir a qui je prend la vie. J'aime les noms. Quel est le tien, elfe ?
L'orc n'avait pas perdu son accent désagréable.
- Isilgath Abesaën... Et toi ?
- Pfuuu ! c'est la première fois qu'un elfe me retourne la question. Puis après un instant d'hésitation et un regard vers le mur derrière Isigath, là où devait certainement se trouver la porte de l'enceinte, il poursuivit :
- Absoreck. Absoreck Durshak. Chez vous ça doit vouloir dire le contraire de miséricordieux. Mais ce n'est pas mon nom de naissance. C'est une longue histoire qui m'a fait mériter ce nom...
- J'ai tout mon temps dit le supplicié, créant chez l'orc un sourire qui découvrit ses canines.
Feignant que de lui avoir raconté son histoire avait fait d'eux deux bons amis, l'orc finit par annoncer :
- Je te propose un jeu, je ne le fais pas avec tous les prisonniers condamnés a mort, mais autant te dire qu'aucun n'a de toute manière jamais gagné. Je te détache, et je te laisse ce sablier d'avance avant de te poursuivre. Il montra le mur qui faisait face à l'elfe. La brèche là-bas dans le mur donne sur le charnier, et... sur l'extérieur. Si tu y arrives avant que je ne te tue, je te laisse regagner ta contrée.
Cela semblait trop beau. Même après la séance de torture, il ne fallait pas a Isilgath plus de quelques secondes pour traverser la petite cour et l'ouverture, propre et carrée, devait bien faire cinq pieds de large. Une fois dans la forêt, il avait toutes ses chances.
- Je n'y crois pas un instant, tu ne tiendras jamais parole.
L'orc prit un air vexé.
- Si si, je tiens parole, mais il y a un détail dont je ne te t'ai pas parlé... tu as un handicap.
Et il trancha consciencieusement de son poignard rougeoyant les ligaments des mains et des pieds du prisonnier, avant de trancher ses liens.
- Alors, tu acceptes le défi ? Allez, rampe ! ordonna t-il à l'elfe qui s'était affalé de tout son long.
Il n'eût pour réponse qu'un murmure.
- Quoi ?
L'elfe murmura encore. L'orc énervé de ne pas comprendre, ou plutôt fâché d'avoir une réponse, alla jusqu'à lui et le retourna d'un coup de pied.
- Quoi ?
A nouveau les lèvres remuèrent, mais plus aucun son ne sortit. Le bourreau se mit a quatre pattes au dessus du blessé et répéta « quoi ? », son oreille a quelques centimètre du visage de l'elfe. Pas de réponse. Lui crachant ses postillons sur le front, il déclara « Hé bien tu as perdu, Isilgath ».
Mais l'orc ne put se relever, Isigath avait jeté son torse en avant d'un coup de rein et mordu à la gorge son persécuteur.
Il serra et ne lâcha point, bien que l'orc, dans un dernier réflexe lui donna un coup bénin de son poignard pour le faire lâcher prise. Le sang avait un goût infect, mais c'était le cadet de ses problèmes.
Quand enfin l'orc ne bougea plus, l'elfe se dégagea, recrachant ce qui devait être l'équivalent d'une pomme d'adam et dit, la bouche dégoulinant d'un sang brun qui n'était pas le sien : Absoreck... Absoreck.
Souvent, il s'était vanté d'être sans cœur, sans pitié, mais en cet orc il avait trouvé son maître.
- Absoreck... Tu as eu tort de me confier ton histoire... Maintenant c'est la mienne...
Puis de la griserie d'avoir réussi l'impossible en tuant son bourreau, il revint peu à peu à l'accablante réalité.
...si je vis.
Mutilé. Impotent. C'était ce qui pouvait lui arriver de pire. Pire que la mort. Il aurait voulut mourir. Mais se donner lui-même cette mort c'était fuir... Il lui vint pour la première fois de sa longue vie l'envie de pleurer. Mais il ne céda pas. Ses membres avaient été tranchés avec une précision chirurgicale au fer rouge, mais le dernier coup de couteau avait été donné avec une lame trop froide, c'était la seule blessure qui n'avait pas été cautérisée, et qui convoquerait cette mort libératrice qu'il désirait maintenant.
Au moins sur une chose l'orc n'avait pas menti : c'était bien une sortie qui donnait directement sur un charnier, puis sur la forêt. Ils ne devaient guère faire de prisonniers.
Il rampa, usant coudes et genoux, laissant sporadiquement derrière lui une fine macule pourpre... Il rampa. Et pas un instant la mort ne voulut de lui.
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