Les chroniques de la mère morte
#15
Les invitations avaient rempli leur rôle. Tout le gratin du clergé était présent, d'Ajila a Ghuilndo en passant par son « ami » le prêtre qui avait voulu attenter à sa vie. Les militaires aussi étaient représentés, au travers de la garde royale et de leur capitaine, ce qui laissait présager que la buvette aurait son heure de gloire. Quelques personnes inattendues étaient aussi présentes, telle que la conseillère du roi. Et enfin, fidèle parmi les fidèles, qui n'avait raté aucune des représentations depuis que Sorn les donnait aux jardins, le canard de l'étang était au premières loges. Seul manquait le capitaine de l'ordre des chevaliers du temple. En se renseignant, Sorn apprit qu'il était en mission loin d'Asteras. Il débuta la soirée en saluant et en remerciant ses invités.

Le prêtre retors semblait nerveux. Pourquoi Sorn avait-il invité tout particulièrement le personnel du temple d'Asteras ? Aurait-il mal pris la tentative d'assassinat ? Il avait peu de doutes... le trouvère s'apprêtait à faire une dénonciation publique... Mais il aurait une bien mauvaise surprise. Dans l'ombre d'un toit qui surplombait les jardins était tapi un elfe, Lëon, le fidèle serviteur du prêtre. Il n'était point mauvais à l'arbalète, et avait de ce fait été réquisitionné pour cette besogne. Il attendait les signes discrets de son maître, au cas où Sorn aurait la fâcheuse idée de vouloir diffuser quelque information compromettante.

Et justement, voilà qu'en s'approchant furtivement du troubadour, le prêtre surprit celui-ci à demander tout aussi discrètement à l'une des hautes autorités de l'ordre :

- Venntaï, Dëlfas Ghuilndo, votre présence sous ce ciel d'asteïr est un honneur
J'espère que ma représentation fera a votre sainteté ainsi qu'a tous ici le bonheur
J'ai a propos d'honneur, ou plutôt hors de propos une question indiscrète...
Si un quidam avait osé aguicher une prêtresse, que risque t-il pour sa tête ?


Avec un sourire entendu, le notable éluda la question :

- Auriez- vous, cher ménestrel, quelque chose a vous reprocher ?

- Non pas, je discutais amicalement avec un prêtre qui avait conté cette plaisanterie,
Qui conduisit au bûcher un amant pour avoir octroyé à une prêtresse quelques gâteries.


Le grand prélat rit à gorge déployée avant de répondre :

- Voilà un plaisantin aux goûts bien dramatiques... rassurez-vous, a part une ëmëstée, vous ne risquez pas grand chose a peloter une prêtresse ! Et avec un air soudain grave et menaçant, il finit en disant c'est elle qui prend des risques.

Le prêtre était démasqué. Il avait perdu son seul moyen de pression et allait être dévoilé. Il fit le premier signe, qui signifiait a son laquais de se tenir prêt. Le carreau fut placé, et la manivelle tournée avec grande dextérité. Un second signe de la main, et il n'aurait plus de risque. Ce n'était certes très discret, mais au vu de la réputation du futur macchabée, on mettrait sans nul doute cela sur le compte d'un mari trompé.

Sorn vint vers lui et se plaça tout à ses côtés, prit sa main dans la sienne et la leva.

- J'aimerais, pour celui a sauvé ma cousine, que vous fassiez une ovation,
Même si celle-ci est entre temps à nouveau trépassée pour d'autres raisons.


La sueur perlait sur le front du prêtre. Quelle plaie ! Ce saltimbanque allait le livrer, il allait tout révéler, et il était trop près. Si son larbin visait mal, c'est son maître qu'il risquait de tuer, il ne pouvait ordonner son exécution maintenant...

Mais a son grand étonnement, Sorn repartit, continuant ses louanges a destinations d'autres prêtres et prêtresses, pour d'autres raisons, saluant et remerciant les présents, gratifiant les dames de quelques compliments.

Puis le spectacle commença.

- Il me faudrait un volontaire, prêt à donner sa vie pour assurer mon succès.
Personne n'est suicidaire ? Ce n'est pas un souci, laissons alors le hasard décider.
Je l'ai intitulée la roulette elfique, ce qui est en jeu n'est rien d'autre qu'une vie.

Il se saisit d'un arc et d'une flèche bleue et pointa cette dernière vers le ciel.
Où pensez-vous qu'elle retombera si je tire à la verticale ? Ou plutôt sur qui ?

Certains regardaient avec appréhension, se demandant s'il avait perdu la tête, d'autres souriaient bêtement en attendant la chute de l'histoire.

La plupart des sourires disparurent lorsque résonna la vibration de la corde détendue. Il posa l'arc et tendit ses bras à l'horizontale comme s'il attendait la pluie.
Tous les regards étaient tournés vers le ciel. Et effectivement il se mit à pleuvoir, de petits filaments colorés et brillants.

Ce soir, ne croyez pas forcément tout ce que vous verrez !
Nous mettrons à votre service tous nos talents pour vous faire rêver.


Interpellée par la phrase du trouvère, l'attention du public se détourna du ciel vers lui, qui tenait dans sa main une flèche bleue.

Quelques applaudissements et sourires saluèrent la performance, mais la plaisanterie ne semblait pas avoir été du goût de tout le monde, particulièrement du prêtre qui y avait vu dû voir une possible attaque a son encontre. Sorn grimpa sur une table et déclama :

Un court poème, que j'ai nommé l'orange de Noël.
Il m'a été inspiré par ma cousine, lors de sa chute mortelle.

A l'occasion de la grande veillée aux chandelles,
Deux miens amis ont reçu chacun une orange de Noël.
Le premier, ébloui, dit je vais la garder précieusement.
Le second, épicurien, s'en délecta sur le champ,
Puis vint trouver le premier pour en obtenir quartier.
Non je ne veux t'en donner, non plus que je veux la manger !
Je la garde pour moi, pour le jour de grande envie.
Il n'en profita jamais, car l'orange de Noël a pourri.


Après quelques applaudissements épars, il poursuivit :

Et maintenant laissons la tragédie derrière nous, et allons de l'avant.
Un peu de musique et de rêve avec le dragon... et le paysan.


Il prit sa lyre pour en faire jaillir une douce mélodie, et se mit a chanter la geste du dragon et du paysan, avant de poursuivre avec d'autres chansons ou musiques sans paroles, jonglages et acrobaties, avant de finalement annoncer que la féminité allait maintenant le remplacer.
Il y eu lorsque Lilië entra sur la place du jardin aménagé en scène improvisée, plus d'applaudissements que pour tous les chants, poèmes et danses précédents.
Il faut dire qu'elle avait troqué ses atours de soie pour une tenue légèrement plus dénudée...

La robe était longue, et cachait jusque ses pieds, mais cachait peu de choses en réalité car laissant apparaître au travers de son tissu diaphane les formes élancées.
Pour le haut, elle n'avait d'autre habit qu'une fine bande de tissu qui cachait sa poitrine, mais de sa robe partait deux immenses voiles qu'elle tenait dans ses main, et qu'elle montait à loisir pour entièrement s'envelopper.
Lorsqu'elle passait devant une lumière, elle était l'ombre chinoise d'une danaïde dévêtue, quand la lumière venait par devant, elle était une rose aux pétales tournoyants.

Sur une table était une petite caisse de bois, ouverte.

Croyez le ou non, afin de cette déesse ne point vous distraire,
Permettez que dans cette caisse je m'éclipse pour jouer mon air !


Tout le monde rit et se moqua, il devrait être plié en quatre et sa lyre en six pour entrer là-dedans... Il y entra pourtant, et comme Lilië fermait le couvercle puis y montait elle-même d'un gracieux saut et dans une explosion de lumière, les notes étouffées se mirent à résonner.
Et sous un tonnerre d'applaudissement, l'elfette suave se mit a danser.
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