29-11-2017, 19:14:06
Confortablement assise dans son fauteuil, Cendre dardait Israfel de ses deux prunelles claires et brillantes. Elle lâcha au début, comme pour se séparer de ce venin qui lui empoisonnait les lèvres :
« Inexcusable. C'est le mot. »
L'elfe continua, et Cendre écouta attentivement sans plus oser un seul mot. Le sourire de la jeune femme était un couteau, mais elle était sage, plus sage qu'avant. Le prix de la guerre, sans doute. Contrairement à Israfel, elle ne s'était pas cachée, elle était allée au-devant du danger, de la mort, en riant à gorge déployée. Elle s'était montrée si hardie qu'elle avait fini par se réveiller deux fois, un pied dans la tombe ou presque. Elle avait le corps bardé de cicatrices, toutes plus vilaines les unes que les autres, mais c'était son histoire. Celle d'une femme qui n'avait pas eu peur.
Celle d'une femme qui avait été là. Qui avait, à défaut de vaincre, au moins donner l'exemple.
Edar lui en était témoin, elle n'avait jamais fui, elle n'avait jamais pris un coup dans le dos, elle n'avait jamais eu peur. La peur, de toute façon, ça n'évite pas le danger, disait Lazzare. Il n'avait pas eu tort, et c'était bien assez rare pour le souligner.
Alors tel une statue antique, Cendre restait là, le fixait sans animosité ni mépris. Elle l'écoutait, simplement, comme s'il sortait d'un songe qui avait duré plusieurs mois, comme s'il venait – enfin – d'apprendre qu'Ecridel tout entière était menacée par des ennemis invisibles et rampants.
Elle avait envie de rire, quelque part, mais elle resta calme, comme un sphinx trônant au-dessus de l'azur. A la fois superbe et grave. Un petit sourire moqueur peignit son visage, laissant tomber un masque qui de toute façon ne lui seyait pas du tout.
« Et donc ? » Elle leva la main, pour le couper si jamais il voulait répartir, « Tu es en train de me dire, Israfel Aedarion, que tu as passé les portes de la Bastide pour me dire ça ? » Elle le regarda, écarquillant les yeux pour souligner sa feinte surprise. « Pour me dire que Synca est en danger ? Que des démons ravagent nos campagnes ? Que les Holdars ont investis à peu de chose près tout Ecridel grâce à leurs illusions ? Et qu'il faut absolument lutter contre ce mal qui ronge le monde ? »
Elle le fixa.
Un long silence plomba l'ambiance.
Une longue langue de feu sortit lentement de la main de la sorcière, mais elle restait impassible, le visage rembrunit mais le corps strictement cloué à son siège. Si elle cédait à ce démon intérieur, Israfel mourrait. Il n'était plus à la hauteur. Plus jeune, elle avait longtemps été la dernière à l'école magique de Thaner, mais ce n'était plus le cas à l'heure actuelle.
Elle était devenue une destructrice, une destructrice qui s'empêcher de détruire aveuglement.
La sorcière préféra siffler, son nez plissé à la façon des chats qui intimident :
« Mais pour qui te prends-tu, fils d'Aldys ? Est-ce donc tout ce que ton noble de père t'as appris ? Le culot ? »
Elle ravala sa salive, mais la flamme dans sa main ne cessait de grossir à vue d'œil. Elle ne pouvait pas se blesser avec, aussi elle posa sa seconde main sur la première, dans l'espoir secret d'étouffer le début du brasier en devenir.
« Tu viens ici, devant moi, pour la première fois depuis des lustres, et tu me sers ton discours de petit héros sortit de son grand château. Mais qu'as-tu fait, Israfel, pour mériter notre aide ? Pour mériter mon aide ? » Elle le dardait d'un regard implacable. Les iris dorés de la sorcière ne donnaient qu'une seule impression : celle d'être jugé par Edar lui-même. « Que peux-tu avancer ici alors que tu ne sais rien, que tu n'as rien vu ? Tu parles de Xalari et de Holdar, mais nous étions, nous, à la forteresse. Pris entre deux feux, pris en tenailles entre les fils de Björnhill et les pantins animés de la magie malsaine venue d'Isaroth. Nous avons payé si cher cette bataille, il y avait tant de sang, tant de morts… »
Elle lui en voudrait à jamais. Elle lui en voudrait comme elle en voudrait toujours à tous ceux qui se dresseraient face à elle. Elle lui en voudrait tout pendant que son ventre si plat, si beau jadis ressemblait désormais à un champ de bataille.
« Si tu es mon ami, tu devrais savoir que je ne suis pas diplomate pour un sou. »
Le feu s'éteint soudainement, laissant derrière lui une volute de fumée et le parfum des cendres.
« Tu devrais aussi savoir que les mots ne sont pour moi que du vent. Tu as fait, tu as vu, tu as entendu… c'est très bien, Israfel, je te félicite vivement d'être descendu de ton piédestal… mais entre nous » elle pencha la tête, comme pour tendre son oreille mi-longue vers lui, « pouvons-nous avoir de nouveau confiance en toi ? Non. Pas aussi facilement. Tu sais ce qu'on dit. Qui a mordu, mordra. »
Elle inspira profondément, comme pour se calmer, et passa finalement sa main sur son front. Pourquoi est-ce que tout devait être aussi compliqué ?
« Reviens me voir quand tu auras des preuves tangibles de ton amitié et de ton implication. Là peut-être, je me ferais plus… conciliante. »
Et elle l'avait été bien plus que Lenwë ne l'aurait été – elle l'avait écouté.
« Inexcusable. C'est le mot. »
L'elfe continua, et Cendre écouta attentivement sans plus oser un seul mot. Le sourire de la jeune femme était un couteau, mais elle était sage, plus sage qu'avant. Le prix de la guerre, sans doute. Contrairement à Israfel, elle ne s'était pas cachée, elle était allée au-devant du danger, de la mort, en riant à gorge déployée. Elle s'était montrée si hardie qu'elle avait fini par se réveiller deux fois, un pied dans la tombe ou presque. Elle avait le corps bardé de cicatrices, toutes plus vilaines les unes que les autres, mais c'était son histoire. Celle d'une femme qui n'avait pas eu peur.
Celle d'une femme qui avait été là. Qui avait, à défaut de vaincre, au moins donner l'exemple.
Edar lui en était témoin, elle n'avait jamais fui, elle n'avait jamais pris un coup dans le dos, elle n'avait jamais eu peur. La peur, de toute façon, ça n'évite pas le danger, disait Lazzare. Il n'avait pas eu tort, et c'était bien assez rare pour le souligner.
Alors tel une statue antique, Cendre restait là, le fixait sans animosité ni mépris. Elle l'écoutait, simplement, comme s'il sortait d'un songe qui avait duré plusieurs mois, comme s'il venait – enfin – d'apprendre qu'Ecridel tout entière était menacée par des ennemis invisibles et rampants.
Elle avait envie de rire, quelque part, mais elle resta calme, comme un sphinx trônant au-dessus de l'azur. A la fois superbe et grave. Un petit sourire moqueur peignit son visage, laissant tomber un masque qui de toute façon ne lui seyait pas du tout.
« Et donc ? » Elle leva la main, pour le couper si jamais il voulait répartir, « Tu es en train de me dire, Israfel Aedarion, que tu as passé les portes de la Bastide pour me dire ça ? » Elle le regarda, écarquillant les yeux pour souligner sa feinte surprise. « Pour me dire que Synca est en danger ? Que des démons ravagent nos campagnes ? Que les Holdars ont investis à peu de chose près tout Ecridel grâce à leurs illusions ? Et qu'il faut absolument lutter contre ce mal qui ronge le monde ? »
Elle le fixa.
Un long silence plomba l'ambiance.
Une longue langue de feu sortit lentement de la main de la sorcière, mais elle restait impassible, le visage rembrunit mais le corps strictement cloué à son siège. Si elle cédait à ce démon intérieur, Israfel mourrait. Il n'était plus à la hauteur. Plus jeune, elle avait longtemps été la dernière à l'école magique de Thaner, mais ce n'était plus le cas à l'heure actuelle.
Elle était devenue une destructrice, une destructrice qui s'empêcher de détruire aveuglement.
La sorcière préféra siffler, son nez plissé à la façon des chats qui intimident :
« Mais pour qui te prends-tu, fils d'Aldys ? Est-ce donc tout ce que ton noble de père t'as appris ? Le culot ? »
Elle ravala sa salive, mais la flamme dans sa main ne cessait de grossir à vue d'œil. Elle ne pouvait pas se blesser avec, aussi elle posa sa seconde main sur la première, dans l'espoir secret d'étouffer le début du brasier en devenir.
« Tu viens ici, devant moi, pour la première fois depuis des lustres, et tu me sers ton discours de petit héros sortit de son grand château. Mais qu'as-tu fait, Israfel, pour mériter notre aide ? Pour mériter mon aide ? » Elle le dardait d'un regard implacable. Les iris dorés de la sorcière ne donnaient qu'une seule impression : celle d'être jugé par Edar lui-même. « Que peux-tu avancer ici alors que tu ne sais rien, que tu n'as rien vu ? Tu parles de Xalari et de Holdar, mais nous étions, nous, à la forteresse. Pris entre deux feux, pris en tenailles entre les fils de Björnhill et les pantins animés de la magie malsaine venue d'Isaroth. Nous avons payé si cher cette bataille, il y avait tant de sang, tant de morts… »
Elle lui en voudrait à jamais. Elle lui en voudrait comme elle en voudrait toujours à tous ceux qui se dresseraient face à elle. Elle lui en voudrait tout pendant que son ventre si plat, si beau jadis ressemblait désormais à un champ de bataille.
« Si tu es mon ami, tu devrais savoir que je ne suis pas diplomate pour un sou. »
Le feu s'éteint soudainement, laissant derrière lui une volute de fumée et le parfum des cendres.
« Tu devrais aussi savoir que les mots ne sont pour moi que du vent. Tu as fait, tu as vu, tu as entendu… c'est très bien, Israfel, je te félicite vivement d'être descendu de ton piédestal… mais entre nous » elle pencha la tête, comme pour tendre son oreille mi-longue vers lui, « pouvons-nous avoir de nouveau confiance en toi ? Non. Pas aussi facilement. Tu sais ce qu'on dit. Qui a mordu, mordra. »
Elle inspira profondément, comme pour se calmer, et passa finalement sa main sur son front. Pourquoi est-ce que tout devait être aussi compliqué ?
« Reviens me voir quand tu auras des preuves tangibles de ton amitié et de ton implication. Là peut-être, je me ferais plus… conciliante. »
Et elle l'avait été bien plus que Lenwë ne l'aurait été – elle l'avait écouté.