Tant de droiture dans la perfidie
#6
Le sourire de Cendre s'estompa doucement.
De la jeune fille insouciante et moqueuse il ne restait qu'une dame plus noble mais plus austère aussi. Une âme plus vieille piégée dans ce corps ridiculement petit, coincé dans les âges, coincé entre deux réalités. Le monde des elfes ne lui avait rien apporté qu'une éternelle jeunesse et qu'une infinie peine. Le monde des hommes, lui, ne lui avait rien offert qu'un tas de braise.
Après son triste monologue, il ne restait rien de Cendre que l'image d'une femme – et non plus d'une enfant – dont le regard était plus terrible que celui d'un dragon.

Après un instant de silence, elle osa finalement un sourire. Il était cruel ce sourire, mais elle ne s'était jamais targuée d'être bonne et délicate.

« On m'a affublée de ce nom, Cendre.
Et c'est bien tout ce qu'il restait de ma famille à ma naissance. Ma mère était visiblement visionnaire et aveugle à la fois. »


Un petit rire sardonique ponctua sa phrase.

Du bout de ses doigts elle mit la rose à son col avec une certaine délicatesse.
Son air posé tranchait avec la gravité de la discussion, lui donnant un air détaché. Elle avait l'air consciente des choses, mais elle avait aussi accepté. Elle n'avait pas baissé les bras, elle s'était seulement rendue compte qu'il y avait des choses contre lesquelles il ne servait tout bonnement à rien de lutter.

« Vous savez ce qu'on dit : on choisit ses amis, pas sa famille. Nous aurions pu être heureux si nous avions tous été plus honnêtes, si certains membres de ma famille n'avaient pas emprunté des chemins égoïstes et obséquieux. S'ils avaient fait honneur à leur condition de privilégié plutôt que de satisfaire leurs instincts primaires. S'ils avaient au moins mérité leur rang. »

En cela, elle parlait autant de Victor et que de Léonide. Le charmeur et l'alcoolique. Son ton d'ailleurs était monté d'une petite octave sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle l'avait peut-être accepté, mais pardonné était encore autre chose.

« Je suis la dernière braise, je le crains.
Victor n'a jamais été que du charbon. Son éducation l'a refroidi trop vite dans ses élans ; Lazare aura toujours une autorité divine sur lui. »

Elle remit en place une mèche de cheveux alors qu'une légère brise glaciale se levait.
« Si vous voulez en finir avec cette famille, c'est moi qu'il faut éteindre.
Pour qu'une terre meurt définitivement, la laisser brûler jusqu'à ce que les cendres recouvrent tout ne sert à rien. Au contraire, cela permet de fertiliser à nouveau ce qui était jadis boiteux et agonisant.
Mais je ne vous apprends rien, chevalier Belroza.
Et c'est aussi pour cette raison que vous ne ferez rien contre Victor ou Léonide. Vous savez qu'ils ne sont que des troncs morts, rongés par la maladie. »


Pour une rare fois, elle parlait ouvertement de cette rage qui la rongeait. Cela ne lui faisait pas peur. Lenwë savait déjà ce qu'elle pensait d'à peu près toute sa famille. Seule Lirulìn lui apportait un réconfort, et la savoir vivante renforçait encore cette rage vengeresse, cette rancœur face à l'injustice et la trahison.

« Je me demande juste pourquoi vous vous embarrassez d'un tel poids. Victor est plus pesant qu'un cheval mort. Que je le supporte s'entends encore – je suis sa sœur – mais vous… vous en particulier, Dione Belzora ? Pour votre sœur ? N'avez-vous pas peur que Victor éteigne tout d'elle ? Je sais selon les rumeurs qu'elle brûle d'un feu crépitant. Ce serait du gâchis. »

Son regard s'était fait plus perçant, à la manière des chats.
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