Le mystère de l'Ornelune
#11
Suite à un séjour imprévu dans le pays des rêves, je revins près de l'étang, ce lieu de biodiversité préservée ô combien étonnant. La magicienne avait disparu, sans laisser de trace autre qu'un feu de camp. Celui qu'on avait trouvé à notre arrivée. Alors, j'étais partie me fondre dans la forêt environnante en quête de baies. Soudain, j'avais vu un petit buisson à fruits sur l'autre rive. Ne pouvant résister à cet appel, j'avais traversé le point d'eau à la nage dans le but de l'atteindre. Quelques minutes plus tard, une langue râpeuse avait trempée ma main de salive ; deux ours avaient fait leur entrée près du buis. Après s'être frottés contre moi, ceux-ci s'étaient éloignés, laissant des empreintes de pas dans la neige. J'aurais pu poursuivre ma cueillette, mais la curiosité m'avait piquée. J'avais de ce fait marché sur leurs traces, jusqu'à ce que mes pieds n'en puissent plus, et découvert une habitation des plus sommaires.

Si seulement je n'avais pas franchi cette porte. C'est regrettable. Néanmoins,l'appel de la vie est plus fort que le regret. Ne ressassons pas ces souvenirs, vivons le présent.

Le présent était beau. Les arbres n'avaient pas bougé, comme s'ils avaient attendu mon retour. Sapins et mélèzes étaient branches dessus dessous comme à notre première rencontre. Leurs écorces rêches et vieillies s'arrachaient d'elles-mêmes, telles des croutes sur la peau. Je les caressai afin de sentir les crevasses sous ma main. La nature offrait mille et une formes et mille et une textures. Comme une pluralité de couleurs. Pour celui qui ne savait voir, il y avait une forêt... mais pour le fin observateur et le poète, il y avait des arbres. Des arbres aux troncs droits ou biscornus, des branches dans toutes les directions, vers le ciel ou la terre, créeant des lignes ou des courbes, du bois brun-rouge ou blanc et lustré comme celui de l'épicéa, un pêle-mêle de formes et de coloris.

Quel beau spectacle, fis-je tout bas.


Soudain, alors que je regardais les oiseaux qui secouaient les branches et en faisaient tomber la neige, il y eut un craquement de branche. Je me dis que c'était un animal. Mais mon attention fut attirée par une silhouette.

Ce n'est pas la silhouette d'un animal ça...

Probablement la silhouette d'un elfe.

Que cherche-t-il? Pourquoi se cache-t-il? Est-il seul?


Autant de questions qui resteraient sans réponse. Et tant mieux. Ainsi, je conserverais l'ignorance des personnes dont l'âme ne se trouble pas. Je décidai de continuer à marcher, en direction de l'étang cette fois. Mes pieds s'enfonçaient dans la neige, ma gorge et mes poumons se glaçaient. Lorsqu'enfin j'arrivai sur le campement, je reconnus l'étrange elfe à la peau bleutée. Elle était revenue. Là. Là, parmi les ours. Je n'eus pas le temps de lui demander la raison de son absence, qu'elle s'était déjà éloignée. Et ce fut à cet instant précis, qu'entra en scène un loup blanc aux pattes grises. Celui-ci montra des crocs largement enchâssés dans la gencive et bondit sur la magicienne. Il la renifla, lécha son visage, hurla et jappa pour exprimer son plaisir, puis se roula sur le dos. Leur échange presque amoureux dura un moment. Moment durant lequel je fus mise à l'écart. Les ours s'étaient mis entre le couple et moi, tels des remparts, me faisant tomber au passage. Je me relevai, dépoussiérai mes habits et fouillai dans ma besace. Dans un sourire, je fis glisser deux baies rougeoyantes sur le sol. Comme espéré, l'un des ours s'avança vers le fruit, le toucha de sa patte et l'avala. Lorsque je replongeai à nouveau ma main dans mon sac, il saliva. Son regard bleu azur croisa le mien, et j'y décelai la tendresse. Presque touchée par l'attitude de l'animal, je plongeai mes doigts dans sa fourrure moelleuse, en oubliant presque les ébats de l'elfe et du loup. A peine eussé-je relevé la tête, que le loup avait disparu. Non. Il s'était métamorphosé en elfe. Un elfe à l'allure étrange. Il avait conservé des oreilles pointues recouvertes de poils et d'autres traits du loup. L'elfe posa un baiser empli d'amour et de tendresse sur le front de la magicienne. Je devinai qu'ils se retrouvaient après une longue absence de l'autre, une période de souffrance, de vide, de rien.

L'homme canidé donna un dernier regard d'espoir à sa chère et tendre. Un regard que je ne connaissais pas. Que l'on ne m'avait jamais donné.



Puis il partit.

Il y avait tant de choses à dire. Tant de choses à décrire. Par où devait-on commencer? C'était comme une chanson triste, à l'intérieur. La lumière s'éteignait sur ses dernières paroles. Une pièce de théâtre tragique. Il n'y avait rien à dire. Juste à écouter. Ecouter les sanglots, les sanglots de l'elfe abandonnée. Le chagrin la ronger dans un mal de tête epouvantable, dans les pleurs et les crises effroyables. Tout à sentir. Sentir ses larmes couler abondamment sur les joues. Les perles salées humidifier et nourrir ses lèvres. Sentir ses yeux s'emplir de nuages, de sel ; sa vue se brouiller. Sentir ses dents se serrer, son visage se crisper, son estomac se nouer et se rétrécir. Vouloir pleurer encore et encore, ne jamais vouloir en finir, en finir de pleurer, de pleurer encore et encore. Pleurer pour se sentir exister, voir combien l'on peut souffrir en pensant. Perséverer dans notre être, cet être éphémère qui a encore tant à apprendre, et tant à pleurer. Il faut se faire mal à la tête, et continuer. Continuer jusqu'à ce que nos joues, nos yeux et notre front nous brûlent. Se repasser ce refrain de l'âme qui nous précipite vers notre fin. Mais la fin repoussons-la. Souffrons encore. Encore un peu. Souffrons car c'est le seul moyen de s'effacer du monde en existant. Clignons des yeux et sentons la peau des paupières s'étirer, s'irriter. Irritons nous, encore et encore. Faisons couler les larmes, jusqu'à être sec comme le désert. Vivons, profitons de ce mal, avant que s'évapore notre âme, notre vie, sous la chaleur écablante de ce désert. Ce désert de neige et de solitude.

Ainsi était la magicienne, seule au clair de lune.
Un peu comme moi, me dis-je
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