Le mystère de l'Ornelune
#10
Il fallut patienter.
L'on pouvait entendre le son de bruissements légers que seul un habitant de la forêt pouvait différencier du vent dans les branches ou de la rumeur forestière.

Puis, à l'orée du bois, debout sur ses quatre pattes, l'échine courbée et le museau au ras du sol, apparut la bête.
Un magnifique, imposant et vieux loup gris.
Sa fourrure épaisse l'était plus encore à son encolure, lui accordant de faux airs de crinière.
Son poil, dont la robe allait du gris clair à l'anthracite, laissait par endroits apercevoir la peau, cicatrices d'anciennes blessures.
Il prit le temps de humer l'air froid, un petit nuage de vapeur s'échappant de ses naseaux.

Son regard se porta au loin, non pas vers l'elfe sélène dont l'attention toute entière était fixée sur le loup, mais vers d'autres elfes, disposés non loin du campement, observateurs se voulant discrets mais oh combien inopportuns.
Il décida cependant de se diriger vers Naaëmsin, de sa démarche de loup, trottinant aisément dans la neige durcie par le froid.

L'elfe et le loup se réunirent. C'est le mot qui convient.
Se retrouvèrent, se humèrent, se caressèrent.
Leur étreinte d'une sensualité dérangeante fut cependant rapidement interrompue par l'approche d'une elfe.

Leur attention portée sur l'intrus, ils virent les deux ours de l'étang rejoindre l'elfe et pressant leurs flancs sur son corps, l'obliger à reculer et à laisser un peu d'intimité au couple étrange.

Le crépuscule maintenant s'achevait. A l'ouest, le soleil disparaissait au bord du monde et la nuit, peu à peu s'installait.
Quelques étoiles commençaient à briller dans le ciel dont le bleu s'assombrissait.
Et la lune, blanche, ronde, rassurante, baigna doucement l'étang de sa lueur froide.

Le paysage prit une teinte violette et fantasmatique.
Curieusement, alors que le froid mordant pénétrait les vêtements, tendait la peau, givrait les cheveux, des lucioles apparurent, voletant en une lente farandole à la surface de l'étang.

Là-bas, s'étant éloignés de quelques pas vers la forêt, hors du halo rougeoyant produit par le feu de leur campement, les amants, puisque c'était ainsi qu'il fallait les nommer, avaient repris leur étreinte.
On pouvait parfois voir luire quelques reflets de lune sur la peau bleutée de Naaëmsin, dont le corps dévêtu roulait dans la neige, uni en une étreinte sauvage, espiègle, combattive, avec le vieux loup gris.
On pouvait entendre ce dernier gronder, on pouvait imaginer ses crocs retroussés, son poil luisant dressé sur son échine, son poitrail puissant imposant sa force à l'objet de son désir.

L'intensité de cette étreinte, la force de la passion qui s'en dégageait, autant que la pudeur peut-être des observateurs de cette scène bestiale et tendre à la fois, les obligea à détourner le regard et à rendre aux deux amants leur intimité dérobée un moment.

Au petit matin, alors que toute la nuit une passion dévorante s'était exprimée dans l'atmosphère glacée et fantastique de l'étang de l'ours, les deux elfes dont Naaëmsin avait toléré le regard purent observer, dans la pâle lueur de l'aube naissante, les adieux des amants.
Naaëmsin, nue dans la glaciale humidité accompagnant la rosée matinale, était telle qu'on l'attendait, beauté sensuelle aux courbes affolantes, créature éthérée rayonnante d'une aura lunaire.
Mais son compagnon, le vieux loup gris, pour autant que ce fût lui, se tenait debout, nu lui aussi, la peau de la même teinte que celle de cette nuit hivernale. Il avait un corps d'elfe, des oreilles pointues qui s'échappaient de sa longue chevelure aux multiples teintes de gris.
Après un dernier regard d'une intensité émouvante, il bondit dans les buissons.

Lorsqu'il réapparut entre deux arbres, quelques coudées plus loin, le loup gris courait rapidement vers le nord, tournant fréquemment sa gueule dans la direction dont il venait.

Naaëmsin se rapprocha du feu mourant, saisit sa robe qu'elle enfila sur son corps maintenant transi de froid.
Tel un manteau de solitude, jusqu'à la prochaine nuit du huitième jour des bourgeons, où elle pourrait, le temps de quelques heures, goûter de nouveau à cet amour, qu'elle perdrait à nouveau, comme chaque année depuis si longtemps...
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