(event) La fête de l'Amitié

[Alba Flèchelune]

A Jada,

L'air sombre de la Grande Dame de Korri n'indiquait rien de bon. Le rapport était tombé à l'aube : Gario était sous les flammes, et les hélions venaient de perdre un brave homme qui leur tenait de garde. Tragiquement, les hommes-bêtes avaient aussi perdus des leurs dans le mouvement – encore du sang gaspillé, encore du sang versé.
Ce n'était pas sans surprise finalement que les habitants de Korri grondaient sous cape, leur rage se décuplant comme leur haine, laissant un arrière goût amère dans toutes les bouches. Après l'affront qu'ils avaient fait à Eltiri, de nouveau on brûlait les habitations. Depuis quand le feu était une arme dont on pouvait se servir, même dans le désert ?

C'est donc à l'aube que se tenait un Conseil des Sages quelque peu... important.
Chaque mine était sombre et glacé. Tous avaient leur avis tranché sur la question ; il n'était plus l'heure des débats stériles, mais il faudrait bien y passer tôt ou tard. Alba fut la première à s'avancer. En tant que représentante de la Justice en Korri, elle devait se tenir neutre. Fidèle à cette image, en Conseil extraordinaire, sa voix ne comptait pour aucun vote, ni d'un côté, ni de l'autre. Elle ouvrirait donc avec cette impartialité qui était la sienne le Conseil.

« Mes amis, mes frères » commença sobrement Alba « ce jour est triste, et l'heure est grave. Je ne ferais pas de long discours sur ce qui nous amène ici : vous en connaissez tous la raison. Le Conseil des Sages, responsable de la sécurité des habitants de Korri mais également du secret qui entoure notre race, ne peut plus se permettre de rester silencieux. En ces temps, tous les hommes-bêtes attendent que l'on prenne une décision. Après l'attaque d'Eltiri, nous avons tût nos rages et nos colères, mais cela a été inutile, car de nouveau le mal a été fait. Ne cherchons pas de responsable, ne cherchons pas de victime : nous avons fait couler le sang, ils ont fait coulé le notre. Il nous faut donc décider de ce que sera notre position finale vis à vis de ces guérillas incessantes. Serons-nous pour, ou serons-nous contre ? »

Les visages se rembrunirent. D'un côté comme de l'autre, tout le monde savait ce que l'autre pensait. Bien sûr que la question était déjà réglée, mais dans Korri, il y avait des règles, et il fallait un tant soit peu s'y tenir pour que tout ne vire pas dans le chaos absolu.

« Que ceux qui sont pour une déclaration de guerre ouverte se place à ma droite. Que ceux qui sont pour un retrait immédiat de nos troupes, de notre peuple, de cette guerre, se place à gauche. »

Bientôt, tous les Sages se mirent à la droite d'Alba Flèchelune, tous sauf Tyrgal le Seigneur de Guerre (ce qui par ailleurs n'étonna personne) et Raev. Tous les deux semblaient décider à tenir tête au Conseil.

« Les votes sont faits. Le Conseil rédigera dès aujourd'hui une déclaration de guerre ouverte. »

La voix d'Alba semblait terne, comme triste. Il n'allait pas sans dire qu'elle voyait d'un mauvais œil cette guerre se profilait à l'horizon, mais avait-elle un autre choix ? Elle même était d'avis de ne pas rester insensible aux attaques et aux injures, mais était-ce là un raison pour sacrifier le peuple à un idéal qui n'était pas même le leur ? Guerre stupide, raisons stupides.
La Chouette recula d'un pas, mais Denthe – le Sage au corbeau – vociféra :

« N'as-tu pas honte de porter ta Couronne, Tyrgal ? »

Le Seigneur de Guerre darda son regard brillant dans celui du Corbeau.

« Tu es Seigneur de Guerre, mais tu la fuis comme un chien apeuré ! Crois-tu que rester à l'abri dans la forêt sauvera notre peuple lorsque ces sauvages en auront brûlé la moitié ? »

« Je ne crois pas que le sang soit la réponse, Denthe. Je ne crois pas que ce soit ce que veuille Estalia. »

Le Seigneur de Guerre ne cilla pas. Tyrgal avait jadis fait ses preuves, et cette discussion avec Denthe, il l'avait déjà eu plus d'une fois. Il était vrai que des Seigneurs de Guerre il était des plus conciliants, animé par l'envie de trouver un équilibre dans ce monde. Le Corbeau était plus pragmatique : il avait vu les frais, les corps et les pleurs, et c'était une raison suffisante pour déclarer la guerre.

« Jamais aucun étranger n'est jamais entré en Korri. Nous n'y avons invités que des hélions. Les elfes et les centaures ont marché sur notre sol sacré, ils ont mis le feu à nos arbres, ont fait souffrir les esprits, et a fâché Estalia. S'ils méritent quelque chose, alors c'est la mort. » prononça Lupe, d'un ton des plus sérieux, ce qui ne lui ressemblait pas.

« Le sang appelle le sang ! Je leur ferais manger toute la poussière qu'ils ont semé sur Eltiri et j'attendrais que sur le cadavre pousse de jolis fleurs pour leur apprendre la puissance d'Estalia ! »

La sauvageonne Attawoko ne parlait que très peu, mais quand elle parlait, c'était avec la puissance des panthères, avec la rage de son totem. Alba siffla car Raev allait répliquer, aussi elle calma le jeu et sitôt des deux côtés le silence fut de nouveau.

« Les votes ont parlé et le Conseil doit rester solidaire. Si nous entrons dans le future dans une guerre franche et ouverte, le Conseil doit être d'autant plus soudé qu'il ne l'est. »

Les yeux noirs de la Chouette se posèrent sur Tyrgal et Raev.

« La fête de l'amitié qui doit se tenir à Eltiri d'ici peu, après les batailles, serait une bonne occasion pour annoncer notre décision. »

« Si vous annoncez la guerre à la fête de l'amitié, alors il faudra chercher à la même date un nouveau Sage. »

Un grand silence se posa de nouveau sur la foule. Tout le monde se tourna vers Raev dont l'apparence était toujours aussi impressionnante. Il inspira profondément, comme a priori la moitié de l'assemblée n'avait pas lu entre les mots.

« Je suis Sage depuis longtemps déjà, et je ne veux pas de cette guerre. S'il vous semble bon que cette guerre ait lieu, j'y vois pour ma part une folie destructrice. Les bêtes ne se vengent pas. Wismo n'en serait pas fier, pas plus qu'Estalia. A aller contre mes principes, je ne peux me dévouer, alors si c'est ainsi, je préfère me retirer de mon rang de Sage et laissait ma place à un autre qui embrassera avec passion cette nouvelle ligne directrice. »

« Je comprend et je respecte ta décision Raev » prononça doucement Alba « si tel est ton désir, il te sera trouver un remplaçant à la date des célébrations. » Son regard se posa alors sur Tyrgal, inquiète : « Doit-on chercher un nouveau Seigneur de Guerre également ? »

Tyrgal ravala lourdement sa salive. Le regard noir de Denthe était fixé sur lui, le perçant visiblement de part en part. Le Seigneur de Guerre inspira une dernière fois et finalement planta au sol un de ses javelots, si loin que nul n'aurait pu le retirer de la terre sans forcer deux fois.

« Ce ne sera en effet pas ma guerre. Je ne peux me permettre d'animer un combat que je saurais ne pas être le mien. Trouvez-vous un homme capable de lever une armée et de la diriger, et faites en le Seigneur de Guerre de cette nouvelle ère. »

L'assemblée resta silencieuse sur ces dernières paroles.
Alba jeta un regard à Urys qui se voulait doux et rassurant pour l'enfant qui ne semblait pas bien suivre tout ce qui venait de se passer. Elle se racla la gorge et lui dit :

« Il faudra dire qu'à la fin de la semaine, la nouvelle Eltiri sera enfin bâtie sur les cendres de l'ancienne. Telle un phœnix, elle renaît et ainsi, il faudra faire une grande fête en son sein. A cette fête est invitée tous les hommes-bêtes et tous les hélions, car c'est ensemble que nous avons vaincu les flammes et les esprits.
A cela, il faudra rajouter que c'est au même jour que nous choisirons le Sage qui remplacera Raev dans sa présente fonction ainsi qu'un nouveau Seigneur de Guerre pour les temps à venir. De là, nous annoncerons que la guerre ouverte est déclarée, que bientôt un message au milieu de la pleine sera déposée, et que plus jamais, ô grand jamais, nous ne tolérerons un étranger sur nos terres qui parte du premier arbre au nord jusqu'à au dernier arbre du sud. »

Urys hocha la tête, et quand tout fut dit, le Conseil se sépara, la joie au cœur pour certains, la tristesse dans l'âme pour d'autres.