Petit oiseau, petit corbeau
#3
Mon cœur se languit du repos, mais jamais ne le trouve.
Faut il que je souffre d'un tourment appelé solitude pour gagner un jour mon paradis ? Je l'ignore.
Mon corps me tire. Mes os sont brisés. Qu'est ce qui m'a cassée ?
La souffrance est là; la souffrance n'est pourtant qu'une simple information. Je ferme les yeux, me laisse aller dans les ténèbres. J'y rejoins le monde d'en dessous. Un monde de songe, et de rêve, d'obscurité… Un corbeau cassé peut il seulement rêver d'autre chose que du noir ?

Mon corps est froid, comme mon cœur.
J'y trouve là des hommes, des femmes, des cris d'animaux. Une forêt d'âme sous mes pieds. Je marche à travers les arbres, et les écorces griffent ma peau. Elle me haït. Korri me déteste car je tue ses enfants, car j'en capture les âmes, et les extirpe du grand cycle de la vie et de la mort. J'empêche à ceux qui le méritent de trouver le repos, ne pouvant, pour ma part, ni le mériter ni le recevoir.

Korri. Korri.
Ne vois tu pas quel grand dessein je dessine du bout des doigts ?
Korri. Korri.
Ne vois tu pas quel grand dessein je suis moi même ?

Mon souffle s'accélère quand j'entends un cor qui chante, loin derrière. La forêt devient de plus en plus sombre. Il faut fuir. C'est le signal. La chasse est ouverte.
Ils me veulent. Je cours. J'essaye. J'ai mal.
Mon corps craque. Mes poumons ont du mal à se gonfler. Je sens que mon souffle ne sera pas longtemps au beau fixe, pas plus que mes jambes qui se font de coton. Je vacille tel un pantin sans ficelle. Tout comme lui, il me manque quelque chose.
Il me manque quelqu'un.

Loin devant moi, je le vois.
J'ai mal. J'ai tellement mal…
Mon corps me cri de m'arrêter, mais je continue vers lui.
Reviens ! Reviens s'il te plaît...

Mes joues me brûlent; chaque larme sur le passage de mes plaies est une nouvelle douleur. Une nouvelle information. Arrête toi, laisse les partir, me crie ma raison, mais je la perds, comme je perds tout, comme je l'ai perdu lui.

Non ! Reviens ! Reviens, j'ai besoin de toi.
Son regard est hautain. Son sourire est moqueur. Je sens d'ici le parfum de ces femmes de petite vertu qu'il a encore vu toute la nuit.
Les as tu aimées seulement un moment ?
Les as tu seulement serrées comme des femmes, ou ne sont elles, elles aussi, que des objets que tu prends et que tu jettes ?

Dis moi qu'elles sont des objets, elles aussi.
Dis moi que je ne suis pas la seule derrière.

Je tousse, crache mon sang. Mon délicieux sang… Plein dans ma bouche. Je suis surprise. Il me sourit, et d'ici, je l'entends rire.

Alors Korri en profite, Korri se venge et m'agrippe les pieds. Je tombe.
Mes genoux rentrent en terre. Je vais me faire aspirer par Korri. Je vais me faire manger, dévorer par ma Mère. Je griffe la terre pour sortir, je veux sortir de là. Je veux m'en sortir. A tout prix. JE VEUX SORTIR. Aide moi !

Mais il a déjà disparu, laissant derrière lui cette traînée pestilentielle. Ce parfum qui me donne la gerbe; le parfum de leurs fleurs trop souvent cueillies…

Je hurle. Je rage. Mes ongles s'enfoncent pour m'empêcher de disparaître dans cette terre qui cherche à me tuer. Je hurle plus fort encore, et j'entends le bruissement des ailes des corbeaux. Ils viennent. Oui ! Ils viennent. Pour moi ! Ils m'entourent. Une dizaine. Non. Une cinquantaine au moins !

Ils me fixent de leurs regards de rubis. Tous. Ils me veulent, moi. Ils m'en veulent, à moi…
Je sers plus fort la mâchoire, et mes mains s'enfoncent davantage dans le sol. La force est telle que je sens mes ongles lentement se retourner.
Mes chairs… Mes chairs se tirent. Mon corps se brise. Mes os se cassent. Je sens ma cage thoracique qui se ressert. J'ai mal. J'ai terriblement mal. Mais je lutte.

Je ravale difficilement ma salive, et elle a le goût du sang. Devant mes yeux, je le vois.
Il s'approche. Tu es tellement beau, tellement vivant… Je relève doucement le visage, l'observe comme il vient s'agenouiller devant moi, aspirée jusqu'à la poitrine par cette terre sans pitié.
Sauve moi… Sauve moi, s'il te plaît. J'ai mal.
Là il tends ses mains vers moi, effleure du bout des doigts ma joue, mes cheveux où naissent une fleur bleue. Je ferme les yeux, confiante, imprudente. Sauve moi… encore une fois?

Quoth.
Tu ne m'as pas sauvé, toi, ce jour là.


Quand j'ouvre de nouveau les yeux, il est là. Un nouveau. Un futur. Un prochain. Il m'observe de ses yeux éteints et sans vie. Je frissonne, de peur. Ils sont tous là.

Mon maître.
Mon traître.
Mon amant.


Tout devient sombre. Tout devient noir. Korri a gagné… Korri a gagné… C'est ce que murmurent les Corbeaux qui ricanent et piaillent. Je vous haïs ! Je vous haïs comme je meurs !

Pourtant...
Même morte, j'ai mal… j'ai terriblement mal...



Je...
Je le vois.
Son masque.

Mes yeux le fixent, et puis revient à moi la douleur, la solitude, la peine… la colère. Je fronce les sourcils car encore une fois, tu m'as sauvé quand je ne voulais que le repos.
A ceux qui penseraient que tu es de grande bonté, je les maudis; mon enfer est cette chose que je traîne sur mon dos fourbu, pas ce qui m'attends une fois en terre.

Je baisse finalement les yeux et soupire, à voix basse, honteuse peut être, gênée surtout:

Merrrci… Vezin.

Encore une fois, je suis en miette. Encore une fois, tu ramasses les morceaux. Tu recolles. Faiseur de vie confectionnant une lieuse d'âme… Toujours là quand il faut. Toujours là quand mon Corbeau n'est plus.
Mauvaise ou bonne chose, je l'ignore. Après tout, il ne m'attire que des ennuis. Il ne fait que me fuir, pour revenir au moment où je n'ai plus besoin de lui. Il me torture, et souvent, la nuit, il décore mes cheveux d'une couronne d'épine qui déchire mes tempes et me fait voir rouge.
Au matin alors je me réveille, douloureuse et couverte de sang, les mains dans les tripes, les tripes au bord des lèvres, une symphonie en tête, une Nocturne pour la farce… Quelle joie.

Je ferme de nouveau les yeux, et j'ose, à demi mot:

Si jamais Goupil te demande… tout ça ne s'est pas passé.

Pauvre sotte, crie le Corbeau dans mon crâne. Totem de malheur, retourne d'où tu viens ! Comme si Goupil pouvait demander de tes nouvelles. Qu'est ce qu'il peut bien en avoir à faire de ta misérable petite vie? Tu connais la réponse mieux que quiconque, Quoth.
Partit un jour à Babylios, jamais revenu. Il est beau ton Maître, ton patron, ton bourreau. Pas même foutu de tenir la laisse, de serrer le collier, et de garder le troupeau. Tout juste beau à… bon à…

Qu'importe.

Ils ne sont plus, et c'est parfait.
Je suis, et eux, plus jamais
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