Rêves
#3
Ter

Gwendolwenn commençait à s'habituer à ces réveils en des lieux différents. Les sens encore engourdis, elle vit tout autour d'elle des cloaques putrides et des arbres dénués de feuillage desquels pendaient une tenture filamenteuse de lianes et d'algues parties à l'assaut des cieux. La porte de pierre – celle-ci était arrondie - était presque entièrement recouverte de ces fibres verdâtres. Une atmosphère sombre et embrumée achevait de donner à cet endroit un air parfaitement lugubre. Pas de trace de son guide. Une angoisse soudaine la traversa. Elle voulut bondir sur ses pieds, mais sa tentative se solda par une chute brutale. Son corps ne répondait plus a sa volonté. Elle ne pouvait même tourner la tête. Ne ressentait plus rien. Elle tentait de comprendre, de regagner le contrôle d'elle-même. C'était comme un autre corps. Peu à peu elle réussit à déterminer comment le contrôler. Un organe après l'autre, un membre après l'autre. Les perceptions étaient connues, mais différentes. Les mouvements étaient possibles, mais différemment. Elle vit ses membres bouger et comprit. Elle eût envie de rire, mais cette créature ne devait pas posséder cette capacité. Par contre elle en possédait d'autres tout aussi intéressantes. Le plus difficile fut de s'exercer à l'art de la filature, mais une fois acquis, Gwendolwenn put se promener d'arbre en arbre sans même revenir au sol évitant ainsi les pièces d'eau.

Soudain elle perçut un léger bourdonnement. Elle se souvint des cours de son professeur de biologie à l'école de magie. « Le corps des araignées est entièrement recouvert de poils qui permettent entre autre de détecter les vibrations de la toile ou celles de l'air. Il s'agit d'un sens presque équivalent à l'ouïe qui permet à l'araignée de repérer les vibrations causées par exemple par les ailes d'une mouche en vol... Ceci est valable pour nos petites espèces locales autant que pour les géantes du marais des Tenagos ». La réflexion provocatrice lancée en réponse par l'une des élèves, « M'sieur, c'est valable aussi pour les nains alors ? » avait montré le peu d'intérêt de l'assistance pour l'arachnologie. Mais elle ne regrettait pas aujourd'hui d'avoir été parmi les plus studieuses, quitte a devoir subir quelques sobriquets acerbes.
Le bruit provenait d'un nuage de moustiques d'une taille réellement impressionnante, mais pas de quoi effrayer une araignée elle-même géante, qui y aurait plutôt trouvé l'intérêt d'un diner si elle n'était à cet instant habitée par l'esprit d'une elfe.

Un autre vrombissement, beaucoup plus grave et de plus en plus intense la mit sur ses gardes. Se pouvait-il qu'elle ait un prédateur venu du ciel dans ce marais imprévisible ? Une énorme libellule la survola et s'immobilisa instantanément devant elle. Elle ressentit une quiétude voluptueuse en regardant de ses huit yeux globuleux les milliers de facettes irisées de l'insecte. C'était lui. Et ses yeux étaient comme deux orbes rassurantes au milieu de cet inquiétant marécage.
Leur retrouvailles furent sobres, la communication directe n'étant pas aisée. Mais il y a mille façon de se faire comprendre sans parler. Ils visitèrent coins et recoins, elle grimpant et sautant, lui la survolant où qu'elle aille, tel un ange gardien.

Elle s'amusa a lui lancer un filin de soie collante qui le fit perdre un instant sa maîtrise du ciel. Mais a joueur, joueur et demi, il parvint à le sectionner de ses mandibules, le saisir, et en quelques tours de son vol le plus rapide, Gwendolwenn fut ficelée comme une vache prête pour l'abattoir. Bien sûr, on n'attrape pas une araignée avec une toile, et elle se libéra en un tournechélicère, mais la libellule devait être bien hilare. Dans la mesure de ses moyens.

Le soir tombant, il se livra a un impressionnant ballet dans le marécage rougeoyant : piqué, vol stationnaire, vrilles, accélérations fulgurante, passage impétueux frôlant les poils sensitifs de Gwendolwenn, vol à reculon, tout y passa.

Enfin il se posa. Elle aurait voulu encore voir basilics, hydres et autre bêtes tentaculaires, au moins apercevoir le dos d'un crocodile, mais son tableau de chasse se limiterai pour cette fois à une nuée de moustiques géants et une libellule du même acabit, car il lui fit comprendre qu'il était grand temps de partir.

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[Image: tn_marais.jpg]
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