Comme chêne et roseau
#2

"Bien, avec ça, je crois qu'on est bons."

Devant les maigres possessions empilées là, on était en droit de se demander comment quelqu'un pouvait se réjouir face à un tel étalage. Ce tas d'objets crasseux et en mauvais état représentait toute la richesse de la famille, un amoncellement hétéroclite plus pitoyable que réjouissant. Pourtant cet amoncellement était aussi une maigre lueur d'espoir, la promesse d'un nouveau départ, loin, sur la frontière Est du territoire sylvain. Un nouveau départ bienvenue pour cette famille plus fauchée qu'un champs de blé après le passage d'une horde gobeline. La forêt regorgeait de possibilité et la sérénité qui s'était installée sous la frondaison rendait l'implantation de nouvelles communautés possible et surtout bien moins hasardeuse qu'auparavant. Une aubaine pour les plus démunis. Eux et quelques autres avaient ainsi décidés de tenter leur chance à leur tour dans les marches orientales du royaume. Une terre vierge, pleine de promesses en somme.

"Allez, ne trainons pas. Les autres ne nous attendront pas étern... Un instant, Leië, où diable à encore disparue ta sœur?"



Un cri suraigu succéda immédiatement à la gerbe d'eau qui éclaboussa les autres gamins occupés à barboter dans le cour de la Loreline. S'ensuivit, ce qui devait s'ensuivre, les autres gosses répliquèrent en aspergeant la fautive avec autant d'éclats de rire que d'inefficacité et la situation tourna rapidement à la bataille navale généralisée, achevant par la même occasion de ruiner le semblant de propreté que les pauvres parents s'efforcent toujours tant bien que mal d'entretenir. Les enfants sont bien connus pour être incapable de rester en place et surtout au sec, à proximité d'un cours d'eau. La situation commençait à dégénérer rapidement, les projections d'eau laissant la place aux mottes de boue vaseuse qui tapissait la rive et le fond de la rivière. La fillette à l'origine du carnage en ramassait justement une particulièrement répugnante, prête à l'envoyer à la tronche du premier qui aurait la mauvaise idée de pointer le bout de ses deux oreilles pointues, quand une ombre noire et menaçante se profila dans son dos. La petite, plus intriguée qu'impressionnée releva lentement la tête pour se faire une idée quand à la raison du silence subit alentour, avant de s'empresser d'accueillir le nouveau venu d'un grand sourire charmeur et boueux et d'escamoter prestement la vase accusatrice. Sans visiblement parvenir au résultat escompté.

Le père de la fillette l'attrapa par l'oreille et la traina hors de l'eau avant de la trainer à sa suite le long de la berge, non sans lui faire longuement la morale. Qu'elle ne tenait jamais en place, qu'on ne pouvait pas la quitter des yeux sans qu'elle ne déclenche quelques catastrophes, qu'on était bien bêtes de perdre ainsi son temps avec une si mauvaise fille, qu'elle devrait avoir honte de sa conduite et dans quel état elle s'était encore mise, et sa tunique -déjà toute rapiécée- qui était déchirée! Ils auraient tous du partir sans elle et la laisser là, tiens. La petite qui refoulait jusque là ses larmes éclata alors, qu'elle, elle ne voulait pas partir. Qu'ici il y avait les autres et que là bas elle ne connaissait rien, ni personne, qu'ils pouvaient bien la laisser là de toute façon, comme ça ils arrêteraient d'avoir honte d'elle et que si elle était si mauvaise fille, ils n'avaient qu'a l'échanger. Le père et la fille échangèrent pas mal d'horreurs avant de finir par se taire l'un et l'autre, ne laissant plus entendre que les reniflements de la petite. Son père s'accroupit face à elle, avant de lui passer un mouchoir sur la figure comme un geste d'excuse, avant qu'ils ne tombent dans les bras l'un de l'autre. Il lui chuchota des mots de réconforts à l'oreille, lui expliquant pourquoi ils ne pouvaient rester là, qu'elle se ferait de nouveaux amis et tout un tas d'autres choses, après quoi il poussa gentiment vers la rivière en décrétant qu'il ne pouvait décemment pas ramener une petite fille aussi sale à sa mère. Elle gloussa en courant se débarbouiller sous le regard de son père avant qu'elle ne tombe en arrêt et ramasse ce qui ressemblait à une bête morte et la brandisse à bout de bras.

"Hatsi, regarde!"

C'était une peluche, enfin une vieille peluche toute moche qui avait du passer quelques temps dans l'eau, elle sentait la vase et avait perdue une patte et perdait son rembourrage, éventrée qu'elle était par endroit. Elle n'avait que d'yeux pour sa trouvaille et ne vit pas l'air dégoutté de son père qui commença à lui dire:

"Elle est...
Elle est super! J'peux la garder, Hatsi? Hein, j'peux?"

Lui, n'eut pas le cœur à lui retirer son maigre trophée tout cracra. La petite fille dépenaillé et la peluche malmenée était presque le reflet l'une de l'autre, ce qui amusa beaucoup tout le reste de la famille pendant leur long exil, loin à l'est.

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