Nevermore (Plus jamais)
#40
Elle haletait, de douleur, d'angoisse. Il fallait qu'elle sorte d'ici. Il fallait qu'on la lâche.
Il fallait qu'elle fuie.

Elle jeta un regard à Eäril, un appel silencieux, un appel à l'aide.
Il la fixa, quelques secondes qui durèrent des minutes. Et il tourna le dos.

Elle retomba brutalement sur le dos, plaquée par un second guérisseur, et son flanc tout entier commençait à la brûler avec cette odeur un peu sale de la chair qui subit et qui se reforme.
Elle se mordit la lèvre pour ne pas hurler. Pour ne plus hurler.
Se jurant un : plus jamais.

Elle se tordit dans tous les sens mais dans un silence presque trop profond.

Il avait fui.
Il t'a abandonnée, Quoth. C'est ce qu'ils font tous. Tu devrais le savoir…
Elle renifla, les laissa faire avec elle, finir avec sa peau.
Tu sais ce qu'ils font. Ils viennent, puis partent, et te laissent avec… comment appelle-t-on ça déjà ?

Peine.
Désespoir.


Maintenant t'as plus qu'à remettre ton manteau de haine,
T'avais qu'à pas écouter tous ces faux espoirs…

C'est bon. Vous devez pour reposer maintenant.

Elle jeta un regard au guérisseur qui referma son bustier grâce au lacet de cuir. Sans un mot elle se redressa, difficilement mais au moins elle était vivante.

Vous ne devez pas partir. Pas comme ça…

Elle lui jeta un regard, triste comme les pierres, sans savoir quoi répondre.
Finalement, ni Goupil, ni Eäril ne reviendraient. Alors elle pouvait bien attendre.

Elle se recoucha dans la paille et s'endormit, épuisée.
Ses nuits se firent sans cauchemars, sans rêves, sans idées. Seule l'obscurité habitait son crâne, et certaines pensées voguaient d'une tempe à une autre, sur un drôle de petit bateau de bois sombre.
Elle n'accorderait plus sa confiance. Après tout, il l'avait trahi.
Elle ne partagerait plus sa folie à d'autres fous, parce qu'ils ne pouvaient pas comprendre. Comment l'auraient-ils pu ? Elle l'avait pourtant entendu, quelque part, au plus profond de ses rêves. Elle s'en souvenait. Et… dans le même temps, il avait été le premier à déguerpir.

Trois jours, c'est long. Long pour qui ne sait pas mais attends quelque chose.
Long pour qui ne comprend pas, mais espère malgré tout.
Long pour qui n'a rien, mais aimerait posséder.

Tu ne te sens pas un peu seule ?

La voix ricanait. Quoth se redressa lentement.

Tu devrais pourtant.
Tout le monde t'a abandonnée.


S'ils m'abandonnent, c'est de ta faute… soupira la gamine. S'ils m'abandonnent, c'est carrr je suis un corrrbeau.

La voix ne répondit pas. Il y eut comme un silence. Quelque chose dans son crâne venait de se taire. De se stopper. Elle se leva de la litière, s'appuyant sur son bâton de buis pour regagner la clarté de la lune.
Les ruines de Jada, enchanteresses, se dévoilaient sous les quelques rayons de celle que les centaures appelaient Aletheria, qu'eux appelaient la Lune. Sans plus vraiment savoir à qui elle devait se référer, sans plus savoir où elle en était non plus, Quoth sortit de l'abri et commença à marcher.

Le Repère du clan Goupil était au sud, c'est pourquoi elle partit au nord.
Elle avait besoin de méditer. De comprendre. De respirer.

Tu sais… Peut-être qu'Eäril est mort…

Elle continua de marcher, sans sourciller.

Après tout, il était bien mal au point quand il t'a ramenée, et…

Je ne veux pas savoâârr.
Je ne veux plus savoârr..


Elle prit la direction d'Eltiri en sifflotant. Elle marcha jusqu'à l'aube avant de se reposer contre un arbre, le visage fatigué, le corps las, mais en vie.
Ce n'était pas véritablement reconnaissant de sa part de vouloir à tout prix ignorer si oui ou non il était mort. Mais pouvait-il le lui reprocher quand il l'avait abandonnée quand elle lui demandait de l'aide ? Sans doute pas.

A la vérité, elle avait besoin du temps pour comprendre.
Pourquoi était-elle comme ça ?

Elle se rappelait d'un lac une fois, tout proche d'une source. Beaucoup d'esprit jouait au dessus de l'eau. Elle se souvenait avoir voulu jouer aussi. Avoir mis un pied dans l'eau, puis un second... L'eau avait été si froide... Si profonde... Elle ne se souvenait plus du reste, mais ses poumons brûlaient à chaque fois qu'elle reconnaissait l'endroit.


Au zénith, elle était éveillée, assise, observant à l'orée de la forêt la plaine.
D'ici, elle croiserait peut-être un centaure. Peut-être.

Elle se mit à siffloter, avec un sourire amusé.

Tu l'entends jusqu'à Eltiri,
C'est plein de ressentiments,
Ça explose dans un grand cri,
C'est tonitruant...

Tu crois que j'l'invente ?
Le coup d'la torture ?
T'diras ça quand ton ventre,
Sera vide et plein d'saumure !

J'vais t'vider l'dedans,
C'est bien l'estomac,
Pour en faire des gants,
Qui s'vendent dans Jada,

T'sais j'crois qu't'as peur,
Quand tu m'appelles sauvage,
Tout ça car ta sœur,
Elle a l'habit du veuvage,

S'pas comme si on l'avait tu,
Qu'vos sabots on n'en veut pas,
Nos terres, vois-tu,
Sont celles d'Estalia,

Qu'le premier que j'vois qui bouge,
J'lui troue d'cuissot d'une flèche,
Qu'il va finir la gueule toute rouge,
Et la peau sur ma cahute, toute sèche !
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