Nevermore (Plus jamais)
#38
Elle eut un petit rire, presque doux. Oui, c'était vrai.
Il ne l'avait pas voulu. Elle non plus d'ailleurs.

Elle repoussa une mèche de cheveux qui était poisseuse à cause du sang et finalement posa ses yeux sur la morsure qui ornait à présent la joue d'Eäril. Elle était un peu sale, mais elle n'avait pas l'air purulent malgré tout. Elle laisserait une cicatrice fine… à défaut d'une vilaine. Enfin, elle n'était pas guérisseuse pour le savoir non plus.
Elle passa un doigt dessus, fascinée, avant de reprendre aussitôt sa main, se rendant compte qu'elle venait de le toucher. Elle fronça les sourcils avec la désagréable sensation d'avoir changé.

Il n'y a rien qui n'a changé.
C'est lui qui te change.


Lui ? Elle garda les yeux bas, plantés dans ses cuisses, sans un mot.
Le chemin commençait à être long et sa tête à tourner, tourner, encore. Toujours. Trop.
Elle allait vomir.

Lentement sa tête se redressa et retomba nonchalamment, rejetée en arrière, dévoilant une gorge trop blanche. La peau, si fine était-elle, était marbrée et l'on voyait d'ici les nombreux vaisseaux qui jouaient tous les jours avec la vie de la jolie Quoth. De ses artères rouges à ses vaisseaux bleus, c'était tout un réseau qui s'organisait, et qui petit à petit avait du mal à joindre les deux bouts.
Elle sentait bien que quelque chose l'abandonner sans savoir quoi.

En temps normal, elle aurait souri. Elle aurait même était amusée de se voir mourir comme ça mais pour une fois, ça ne lui plaisait pas. Elle se tendit, et ses doigts se serrèrent fortement dans sa jupe, comme pour tenir bon.

Abandonne-toi.
Il n'y a plus que ça à faire, Quoth. En finir. C'est le bon moment !


Non.

Fais-le !

Elle renifla et sa trachée avait le goût de sang, comme sa salive.
Elle ne voulait pas. Plus. Il lui avait demandé de survivre et bêtement, elle le ferait. Elle survivrait. Elle s'accrocherait à quelque chose, n'importe quoi, et si jamais elle mourrait maintenant, alors c'était que toute la vie, toutes ses croyances, l'essence même de l'homme était absurde et ridicule.
Si elle mourrait, il n'y avait plus rien.

Quelque chose passa devant ses yeux, un soubresaut, une douleur, puis…

Il y eut un silence.

Et enfin, l'obscurité totale.

Elle se doutait bien que le manque de sang avait causé l'anémie qui avait causé l'évanouissement. Pour autant, même dans le monde des esprits aux vapeurs intangibles, elle craignait de tomber trop loin, trop profond.

La chute fut longue avant qu'elle ne se décide à planter ses ongles dans la terre. Pas question de chuter jusqu'au bout. Elle sentit ses ongles se décollaient de sa chair à force de forcer. La gravité était trop forte. On l'aspirait. On la tirait vers le bas. Mais elle résistait. Dans ce monde sans image et sans bruit, elle forçait.

Laisse-toi tomber, pauvre sotte !

Elle enfonça sa main dans la terre, plus haut. De petites mottes se détachaient du tunnel vertical. Elle pouvait apercevoir d'ici quelque chose, tout en haut. Deux yeux. Ça la regardait. Elle siffla, et enfonça son autre main plus haut, se hissant du haut de ses forces fragiles.

Tombe ! Tombe ! Tu l'as toujours voulu !

Elle renifla et agrippa plus fort la roche. Elle ne voulait pas tomber, mais elle le savait, elle n'y arriverait jamais. Pas comme ça. Pas avec ses bras. Elle observa les deux yeux qui l'attendaient au bout du tunnel, sombre, froid. Une douleur affreuse lui tordit le ventre et quand elle baissa les yeux, elle vit que ses tripes partaient. Elle hurla, prise de peur, de panique. Son ventre se détachait en lambeaux et tout en bas, les corbeaux la dévoraient. Ils picoraient avidement et elles sentaient les becs s'enfonçaient dans sa tripaille. Elle hurlait, gigotait. Elle n'avait plus le choix et ses yeux se remplirent de larmes, prise au dépourvue.
Pas le choix. Encore.

Tombe !

Elle lâcha.

Il se passa quelques secondes où elle fut comme ça. Abandonnée.
Au néant, à ses démons, à tout. De tous les côtés son corps se désagrégeait. Elle allait redevenir essence. Estalia allait l'avaler. Elle allait mourir. Elle allait mourir…

Elle ferma les yeux et un hurlement d'ours se fit entendre au loin, la réveillant brutalement. Sa peau brûlait mais ce n'était que pour mieux se recouvrir d'un épais plumage sombre.

Des plumes ?

Les corbeaux aux alentours, plus petits qu'elle, venaient bécoter les restants de tripes qu'elle n'avait plus. Son ventre n'était plus qu'un champ de bataille sans nom. Des plumes, de partout.

Elle jeta un regard au bout du tunnel mais il n'y avait déjà plus de lumière.

Non ! Tu n'as pas le droit !

Elle commença à battre des ailes. Elle n'avançait pas.
Plus fort. Plus fort encore.

Elle avait tellement mal, mais tellement envie. Pour une fois, elle avait envie d'être vivante.
Elle avait envie de survivre.

Pour elle ? Ou...

Elle ferma les yeux et se laissa faire. Elle sentait la bise. Le froid.
Son corps se glaçait mais ce n'était pas le froid de la mort, c'était autre chose.
Des mains. De l'eau. Quelque chose.

Les corbeaux se mirent à piailler plus bas, à vouloir la dévorer. Elle sentait leurs becs dans sa chair mais n'arrêta pas. Pas cette fois.
Ses ailes, bien plus grandes que la moyenne, battaient à tout va.

La douleur s'en irait.
Avoir mal, c'est être vivant.
Avoir mal, c'est être toujours vivant.


Elle dépassa le tunnel. Il y eut le noir. Un flash. La douleur. Elle se cambra brutalement en poussant un cri strident, ses doigts s'enfonçant sitôt dans la première chose rencontrée avant de retomber, haletant, les yeux en larmes sous la douleur.
Qu'est-ce qu'on osait lui faire ?

Elle jeta un regard paniqué autour d'elle, un regard qui croisa un homme qu'elle ne connaissait pas. Un guérisseur, sans doute. A sa gauche, Eäril.
Elle le fixa avec un regard profond, un regard perdu aussi.

J'ai m-mal, j'ai m-maal...

Elle haletait, et ses doigts ne relâchaient plus la pression, gigotant, l'incontrôlée incontrôlable. Elle avait eu peur. Elle avait eu si peur de mourir, pendant quelques secondes.

Elle avait peur, encore à présent.
Elle était même terrifiée.
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