Nevermore (Plus jamais)
#33
Je vais la tuer.

Non.

Je veux entendre ses os craquer, voir ses yeux pleurer, sentir le goût de sa chair et de son sang dans ma bouche !

Non.

Je vais lui faire payer. Pour la forêt. Pour les arbres. Pour moi. ELLE VA PAYER !

Non.


C'était un véritable combat qui se déroulait à l'intérieur de l'esprit d'Eäril.

Un conflit brutal entre sa soif de sang et son désir de vengeance, provenant de pulsions sauvages et incontrôlables, et son souhait de garder Quoth vivante, dirigée par...
Par quoi d'ailleurs ?
Sa raison ?
Voilà bien longtemps qu'elle l'avait abandonné elle aussi.

Non.
Il savait.
S'il voulait la garder vivante, ce n'était pas par pur égoïsme.
Comme elle, elle le gardait à son tour en vie pour ne pas se sentir seul.
Et lui, pourquoi il voulait la garder vivante ?

Pour la faire souffrir, encore et encore, et pour qu'elle me supplie, oui, me supplie.

Non.

Il y avait autre chose.
Mais quoi ?
Qu'était-ce donc ?

L'ours poussa un nouveau un rugissement féroce, mais contre lui-même cette fois.

SUFFIT LES QUESTIONS, LES DOUTES ET LES REMORDS !!!
TUONS-LA, PUIS TUONS NOUS ENSUITE !

Oui.
C'était la meilleure solution.

Mais avant de la tuer.
Il allait l'écharper.
La dévorer.
Lui arracher les membres, la langue, et les yeux !
Oui, il allait la tuer.
Et il comptait bien profiter de cet instant, pour se suicider ensuite sans regrets.

La bave coulait à flot de sa gueule, avide de sang et de chair fraîche.

Ses muscles se contractèrent.
Ses pattes prirent appuyer sur le sol.
Ses babines se retroussèrent.
Puis il se jeta sur la Corbac.

... Du moins, avait-il voulu le faire.
Car avant de bondir sur la jeune femme blessée, une lueur brilla derrière elle, entre les arbres.

Eäril se figea.
Deux yeux le fixaient dans l'ombre des arbres.
Deux yeux félins, sévères et désapprobateurs, aussi froid et tranchant que l'acier, qui le transperçaient, transperçaient son corps, transperçaient son âme.
Et cependant, y brillait une grande et extrême sagesse.

C'était lui.
Il était venu.
Son totem.

Alors l'ours, comme soudain privé de toutes forces, bascula en arrière... Pour retomber sur son arrière-train dans un grondement sourd, abasourdi, le regard captivé par celui de l'animal assis dans l'obscurité de la forêt.
Sauf qu'il avait déjà disparu.

Eäril ne bougea plus, étourdi et stupéfait, ne tentant même pas de cacher sa stupeur.

Les minutes passèrent, et il resta ainsi, sans bouger ni rien dire, sans esquisser le moindre geste.
Ma métamorphose prit fin.
Les poils se rétractèrent, son corps rapetissa, pour finalement reprendre forme humaine.
Mais malgré cela, il resta immobilisé, pétrifié, aussi figé qu'une statue de pierre.
Il ne se souciait plus de rien, ni de la forêt, ni de la Corbac... Ni de sa nudité.

Toute colère en lui avait disparu.
Ses pulsions meurtrières avaient été dissipées aussi subitement que le vent disperse la poussière.

Seuls restaient les questions, toujours et encore.

Pourquoi s'était-il montré à un moment pareil ?
Pourquoi maintenant ?
Depuis des années, il l'avait cherché, appelé, supplié, prié… Mais jamais il n'était apparu à lui.
Etait-ce au moins vraiment lui ? Ou un autre animal ? Peut-être même était-ce une apparition de la forêt ?

C'était bien le comble.
Lui qui avait suffisamment de problèmes avec lui-même, il avait pour totem le plus mystérieux d'entre tous.

Pourquoi s'était-il montré à cet instant précis ? POURQUOI ?
Pour protéger la Corbac ? Là encore, le même et éternel mot : Pourquoi ?

Il resta ainsi encore longtemps, assis au milieu des bois, nu, détaché du monde, noyé dans le flot de ses pensées, le regard fixant toujours l'endroit où s'était montré son guide spirituel.

Si la jeune femme lui avait parlé, il ne l'avait pas attendu, tant il était obsédé par son totem.
Est-ce des secondes, des minutes… Des heures qui passèrent ? Il l'ignorait. Encore une fois.

Toujours est-il que son corps, tremblant de froid, le rappela à la réalité.

Comme s'il se réveillait, il cligna des yeux plusieurs fois, reprenant conscience de son environnement.

Il posa ses yeux sur Quoth, la regardant sans vraiment la voir.

Puis il se leva et se dirigea d'un pas mal assuré vers ses affaires qui traînaient plus loin et qui heureusement, avaient été épargnées par les flammes.

Il se rhabilla, le regard toujours songeur. Puis, quand il eut terminé, il marcha à nouveau vers elle, puis, s'arrêtant à quelques pas d'elle, demanda d'une voix calme, qui trahissait cependant une certaine lassitude :
Peux-tu te relever et marcher toute seule ?
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