Nevermore (Plus jamais)
#18
Le silence la berçait doucement, et elle se laissait faire, étendue là, contre le sein nourricier d'une déesse sans visage, inébranlable et à la fois abandonnée.

Peut-être que rien ne vaut d'être vécu… pensait-elle, naïve.
Peut-être que tout ça, ce n'est qu'une mascarade. Un mensonge.

Est-ce que je me mens à moi-même ?

Dans son sommeil sans tâche, la petite Quoth remuait, prise d'un petit tressaillement. Ce n'était peut-être qu'un frisson, à cause du froid, ou alors était-ce la peur qui recommençait son vacarme à l'intérieur ? Elle serra les dents et poussa une plainte qui sonnait comme un gémissement. Son ventre se serra et elle se recroquevilla comme quand elle n'était qu'une enfant.

Elle renifla. Une fois. Puis deux.
Un petit sanglot pointa le bout de son nez sur le bout de ses cils, et comme elle fronçait les sourcils, cela ne lui donnait l'air que plus belle, touchante dans cette naïveté d'enfant à peine sortie de l'adolescence, encore si peu au courant du reste et du temps.

Tu es toute seule…

La voix était suave. Léchante. Pas toute seule, non. Elle avait Goupil.

Goupil ? Allons, Goupil n'est pas là…

Sa voix se serra et elle émit un petit bruit qui ressemblait à un glapissement de peur. Ses genoux se mirent à trembler comme ils le faisaient quand elle était gamine. Le grand corbeau redevenait enfant, et maintenant…

Maintenant ?

Cours !

La forêt commençait à lui griffer le visage. Chaque branche était une peine. Chaque ronce était une douleur.

Cours !

Son cœur battait si fort, et les rires derrière, ils étaient si nombreux, si forts. Si proches.

Cours !

Ne pas se faire attraper, ne pas se faire attraper. Courir, vite. Elle voyait leurs ombres sur le sol mais ne pouvait pas voir leur visage. Elle ne les avait jamais vu. Ils étaient comme elles – sans matière, sans essence. Juste des âmes. Mais ils lui en voulaient, à elle, à elle et à personne d'autres.

Cours ! Ne te retourne pas !

Elle hurla quand elle sentit sa chaire commençait à souffrir de la course, ses muscles se bandaient, son corps entier se contractait sous la peur. La barre dans son estomac lui compressa davantage les poumons et elle sentit que si ça continuait, elle allait tout simplement vomir et rendre son repas.

Ne faiblis pas ! Cours !

Ses genoux commencèrent à lâcher, ses muscles à faiblir, ses poumons à brûler, et finalement se fut tout son corps qui cessa de fonctionner. Elle tomba à genoux, son pieds pris dans une racine, mais elle ne prit pas la peine de protéger son visage qui frappa brutalement sur le sol.

Son sang glissa sur ses lèvres. Son nez brûla. De nouveau.

Tu es trop lente.
Tu es inutile.
Tu es nulle.


Silence.

Tu ne vaux rien.

Elle releva la tête mais quelque chose la réveilla avant même qu'elle ne voit le visage de celui qui parlait. Ce cri n'était pas le sien. Ce cri ne lui appartenait pas. Il ne venait pas de son rêve. De son cauchemar. Ce rêve, c'était celui de l'autre homme-bête.

Elle posa ses yeux sur lui, et ses yeux étaient remplis de larmes.
De peur. Des larmes d'enfants.

Elle le fixa de longues secondes, en silence, la bouche encore marquée de son sang. Sans comprendre. Elle avait froid. Ses doigts lui faisaient mal. Elle baissa les yeux et déplia ses phalanges qui grincèrent comme s'ils avaient gelé autour des restes de la fleur de mana.
C'était peut-être le cas. Ou était-ce une brûlure ? Elle l'ignorait.
Tout ça n'avait pas d'importance.

Elle se redressa, lentement. Ses os craquèrent comme si elle avait cent ans. Mille ans.
Peut-être était-elle aussi vieille que ça. Peut-être était-elle une âme comme on en fait plus, ayant voyagé dans les temps… Elle posa ses yeux sur sa besace, se pencha et en sortit une gourde encore pleine d'eau claire. Elle se rapprocha de l'homme-bête dans un silence rituel.

Ses yeux bleus ne le quittaient pas. Lui. Sa face déconfite. Sa peur.

Ses yeux se séchèrent à force de le regarder, et il ne restait plus que sur ses pommettes un peu de rouge, de pivoine et de rose pour rappeler qu'elle aussi avait rêvé, qu'elle aussi avait voyagé avec les autres esprits. En tant que chamane, tout aurait dû lui apparaître clair, mais elle était une très mauvaise chamane, et souvent les esprits riaient d'elle. Plus qu'elle ne l'avouerait à quiconque.

Elle se mit à genoux à ses côtés et dévissa la gourde d'eau, mouillant doucement ses doigts pour finalement lever la gourde au-dessus de la tête de l'homme-bête et de verser l'eau sur son visage.
Sa main, sans douceur, vint masser sa peau pour en enlever la fine pellicule – parfois plus épaisse – de sang qui restait malgré tout coller.
Sans douceur, car la douceur n'avait pas sa place. N'avait plus sa place.

Malgré tout, elle ne lui faisait pas confiance.

Je suis Quoth.

Elle retira sa main de sur son visage et la lava quelques secondes comme si le toucher lui l'avait tâchée elle. Elle était méticuleuse, et chaque parcelle de peau ne semblait pas laisser souiller.
Elle referma finalement la gourde, en silence, et se leva pour rejoindre son sac, sans un mot.

Elle avait besoin de réfléchir.
De comprendre.

Mais dans tous les deux cas, c'était difficile.
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