Nevermore (Plus jamais)
#17
Il faisait sombre.

Très sombre.

Il était assis par terre.

Le sol était rigide et froid comme du marbre, et pas un seul souffle de vent ne venait caresser son visage.

Pas un bruit, pas un son.

Il était seul.... Pour le moment.

Peu à peu, se dévoila à sa vue des barreaux qui occupaient tout l'horizon et l'entourait. Des barreaux d'acier.

Et au loin, rien.

Il connaissait bien cet endroit.

Il le connaissait bien car il l'avait créé.

C'est ici qu'il se replie quand la réalité lui devient trop douloureuse et que la situation le permettait... Comme maintenant. Sauf que cette fois-ci, c'était contre sa volonté.

De plus, il y avait quelque chose de différent... Ces silhouettes qui se mouvaient derrière les barreaux, qui apparaissaient et disparaissaient. Elles n'étaient pas là habituellement.

Ignorant comment il était arrivé ici et pourquoi il s'y trouvait, oubliant que cet endroit n'était pas réel, il lança d'une voix forte aux ombres:

Qui est là ? Qui êtes-vous ?

Un murmure derrière-lui lui répondit.

Il se retourna vivement… Mais ne vit rien.

Cependant un courant d'air froid vint soudain mordre son visage.


Un sifflement retentit alors à sa droite.

Puis un autre à sa gauche.

Et encore un autre.

Et un autre.

Mais il avait beau scruter les ténèbres, il ne voyait rien.


Les sifflements se faisaient plus nombreux, plus puissants, lui lynchant les oreilles, le faisant grincer, provoquant des frissons dans tout son corps.

Il se recroquevilla sur lui-même, et voulu crier que l'on cesse ces bruits inhumains.

Mais aucun son ne sortit de sa bouche.


Alors il se replia d'avantage sur lui-même, dissimulant son visage derrière ses bras, tentant de se soustraire à ses bourreaux invisibles.

Les sifflements se faisaient de plus en plus grinçants, de plus en plus aigües, de plus en plus inhumain.

Et soudain... Plus rien.


Il ne bougea pas, dissimulant toujours ses yeux, et attendit, en se répétant inlassablement la même phrase :

« Gardien des secrets oubliés, à qui rien ne peut échapper et dont le regard transperce les plus sombres noirceurs et vainc les chimères, prête-moi tes yeux pour voir la vérité et me libérer des ombres.
Gardien des secrets oubliés… »



Puis, un son strident et métallique se fit entendre sur son côté droit, retentissant entre les différents barreaux en un écho infini.

Il leva légèrement la tête et lentement, très lentement, tourna son regard vers la source du bruit.

Un corbeau.

Posé au sol derrière les barreaux, l'oiseau le regarda de ses deux petits yeux noirs et moqueurs.

Puis de son bec, cogna contre le barreau situé devant lui une nouvelle, faisant retentir une fois encore cette mélodie discordante et désagréable.

Un bruit étouffé de plumes lui parvient de l'autre côté… Accompagné d'une nouvelle note stridente.

Puis un autre en face.

Et encore un autre derrière.

Et un autre.

Encore un autre.

Encore.

Encore.


La cage entièrement résonna bientôt à l'infinie de cette note cinglante et perçante, répétée une multitude de fois par les corbeaux qui toujours plus affluaient.

S'arrachant les cheveux, griffant son cuir chevelu à vif, il déploya sa gorge, bascula la tête en arrière et se mit à hurler… Mais seul un paquet de plumes froissées et abîmées en sortit.

Des plumes noires.

Noires comme celle des corbeaux.


Soudain, un bruit étrange, ressemblant au clapotis des vagues, se fit entendre en face de lui, accompagné d'une odeur immonde… Puis une flaque d'un liquide rouge pourpre et visqueux apparu peu à peu dans à l'horizon, s'étendant toujours plus et s'approchant à une vitesse fulgurante de la cage.

Et les corbeaux, toujours, jouaient leur incessante et infâme cacophonie.

Paniqué, il se redressa subitement et se retourna pour fuir… Et se retrouva face à face avec elle.

Elle.

La femme corbeau.


Il se figea, comme si son corps tout entier s'était transformé en pierre.

Elle le regarda fixement pendant des secondes qui lui parurent une éternité, puis soudain, saisissa sa gorge d'une main et l'étrangla, toujours de plus en plus fort.

Il entendit ses cervicales se briser, ses poumons s'enflammer, son cœur exploser... Mais toujours son regard fixait celui la jeune femme, son corps refusant toujours de bouger, de fuir, comme si elle le contrôlait par la seule force de sa pensée.

Elle serra, serra toujours plus.

Puis afficha un rictus monstrueux… Et le lança avec violence en arrière.


Au même instant, tous les barreaux se mirent à exploser, leurs éclats se mirent à cribler son corps, qui atterrit dans le liquide nauséabond, qui se mit alors à l'englober et à l'avaler, lentement mais sûrement.

Affichant toujours le même sourire démoniaque, la femme-corbeau l'observa quelques instants, jouissant du spectacle, puis s'éloigna après avoir claqué des doigts.


Soudain, les corbeaux, dont les barreaux ne les séparaient plus de lui, se ruèrent tels une seule et même entité sur lui, comme si le signal qu'ils attendaient tous avaient été donné.

Il voulut se débattre, mais ils lui arrachèrent sa chair, ses ligaments et ses muscles.

Il voulut crier, mais ils lui arrachèrent la langue.

Il voulut fermer les yeux pour ne pas voir ce spectacle affreux... Et, comme pou l'y aider, il les lui arrachèrent aussi.

Seuls lui restaient ses oreilles, pour écouter le chaos de plumes et de cris que produisait le festin de ses entrailles, et entendre au loin, la jeune femme qui chantait.... Chantait.

Et malgré le bruit, il en entendait distinctement les paroles.

R'garde moi ça, ça s'pavane,
Mais y savent pas qu'dans la savane,
J'suis pas l'roi, pas la reine,
Mais la semeuse de gangrène.

Approche mon tout doux,
Qu'à ton oreille je soupire,
J'jure, tu n'deviendras pas fou,
Mais tu n'pourras plus sourire.

Viens, je t'amène dans mon univers,
Là où l'sang nourrit les vers,
Viens, j'te montrerais le cimetière,
De toutes les âmes d'hier,

Celles qui ont perdu la vue, ou la vie,
De ces gens qui rôdent sans comprendre,
Qu'demain n'sera pas plus joli,
Qu'demain viendra sans les attendre.

Dans l'fond j'ai pas peur du noir,
J'vis dedans, s'mon désespoir,
Ça m'fait comme un manteau,
Et dieu qu'il est lourd l'salaud.

Alors j'me balade ainsi,
Traînant mon ignominie,
Je guette ta vie,
Et je la finis.





Un cri inhumain brisa soudain le silence nocturne qui s'était jusqu'alors imposé dans cette partie de la forêt depuis le coucher de l'astre rayonnant.

Au pied d'un arbre plusieurs fois centenaires, voir millénaires, Eäril se tenait adossé contre l'écorce du géant, haletant et couvert de sueur.

Du sang recouvrait ses vêtements, son visage le brûlait, sa mâchoire le lacérait, et son corps tout entier lui faisait souffrir le martyr.

Mais il était entier.

Il avait sa chair, ses membres, sa langue…

Un de ses yeux demeurait fermé, gêné par quelque chose, sans doute une tâche de sang ayant séché, mais ils étaient bien présents tous deux dans leur orbite.

Ce n'était qu'un cauchemar.

Un simple cauchemar.

Cependant, malgré le fait qu'il ne cessa de se ressasser cette phrase pour se rassurer et calmer, il jeta autour de lui de son œil valide un regard affolé.

Pas de corbeaux.

Malgré l'éclair fulgurant de douleur que celui lui causait, il laissa échapper un profond soupir, son corps tout entier se relâchant… Avant de bloquer sa respiration, et s'immobiliser tout entier.

Il n'y avait pas de corbeaux.

Mais Elle, était là.

Et elle le regardait.
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