Nevermore (Plus jamais)
#9
Il s'apprêtait à réciter une incantation, quand soudain, la voix écorchée et rauque de la jeune femme s'éleva derrière lui.

Il resta un instant figé, coupé dans sa formule, fixant la Corbac, presque hébété.

Il n'avait pas vraiment prévu qu'elle lui réponde aussi tôt.

Pour dire vrai, il pensait même qu'elle ne lui répondrait jamais, et s'en était prématurément satisfait.

Et pourtant... C'était bien sa voix qu'il entendait, aussi rude que la pierre mise à vif par les vents et le froid mordeur, et ses lèvres qui se mouvaient, aussi pâles que le teint d'un cadavre.

Le temps d'un instant, il fut pris au dépourvu.

Puis il le vit.
Cette lueur dans son regard.
Ce sentiment.
Celui d'être détaché de tous, de se sentir oppressé par des règles morales stupides et étouffantes, et des modèles dénués de sens et de valeurs.
Cette douleur constante, aussi perpétuelle et présent que les battements d'un cœur, ces questionnements incessants, ces tourments inutiles, que l'on camoufle derrière un masque d'inexpression et d'immoralité.
Ces chaînes éthérées mais bien réelles, qui nous plaquent au sol, nous étranglent, nous oppriment, sans un instant de répit et de soulagement.
Elle le comprenait.
Elle était comme lui.

Durant un bref instant, l'espoir et la compassion se lut dans ses yeux... Avant de disparaître aussi soudainement qu'ils étaient apparût, laissant place à un terrible sentiment de déception, de fatalité...
Et de traîtrise.

Le regard de la Corbac avait changé, il n'était plus le même.
A présent elle le regardait avec mépris et dégoût. Comme tous les autres.

Non, elle n'était pas comme lui.
Il manquait quelque chose...
Est-ce une chose qu'elle avait en moins par rapport à lui ? A moins que c'était l'inverse ? Il l'ignorait... Mais ce détail, ainsi insignifiant pouvait-il être, suffisait à rendre béant le fossé qui les séparait.

Finalement, il perdait son temps avec elle.
Il n'avait rien à attendre ce corbeau misérable et piteux, hormis des plumes froissées et des sarcasmes vides.

Il n'avait même plus l'envie de jouer avec elle.
Elle le dégoûtait.
Le répugnait.
L'illusion qui l'avait jusque-là abusé se brisa, ses éclats s'envolant vers lui et s'enfonçant profondément dans son âme, qui déjà terriblement meurtrie suinta plus encore de son amour-propre.
Comme les autres, elle n'apportait que souffrance et désillusion.
Comme les autres, elle le rejetait.
Et comme pour les autres, il ne souhaitait plus qu'une chose : qu'elle disparaisse de ce monde.
Qu'elle s'étrangle avec ses plumes et s'empoisonne avec son venin.
Qu'elle se baigne dans son propre sang et qu'elle y sombre, pour l'éternité.

Aussi, et malgré après avoir concentré d'énormes efforts pour présenter plus un rictus qu'un sourire, il répondit, d'une voix sèche et froide comme les tombes:
Je n'y connais rien. Mais je connais si bien le chaos, la cacophonie et la laideur que je peux en entrapercevoir à travers eux les contours leur antonymie, condamné cependant à ne jamais les comprendre.

Puis il s'éloigna, d'un pas raide, laissant dans un sillage une froideur malsaine et pesante.
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