Les destins empoisonnés
#7
Le lendemain, le fait divers avait déjà traversé toute la ville. Les elfes chuchotaient la rumeur dans les tavernes, les échoppes et même dans la rue. On voyait plus de gardes qu'à l'accoutumée devant l'entrée des grands bâtiments d'Asteras. Deux gardes, comme eux, avaient été tués par un étranger quelque peu impatient. Aussi avait-on redoublé de précaution.


Alors que le soleil s'approchait du zénith, les dires parvinrent aux oreilles d'un elfe de haut rang. Ce jour-là cet homme, nommé Danthanel, ne travaillait pas, et c'est pourquoi il n'apprit la nouvelle que tard dans la matinée. S'il avait été dans les bureaux de l'administration, il aurait sans doute été alerté très rapidement. Pour l'heure, Danthanel lisait dans son salon, confortablement assis dans un large fauteuil.


Pendant ce temps, dans la salle d'eau, sa fille Lanaë prenait un bain. Tout autour d'elle, trois servantes, tour à tour, la massaient, la peignaient et la frottaient avec du savon parfumé.

« Vous n'avez pas eu d'ennuis avec monsieur votre père? » questionna Acle, toujours très attentionnée avec sa maîtresse.

Les deux autres domestiques regardèrent Lanaë, sans comprendre.

« Évitons d'en parler », dit-elle à voix basse.

Suite à cela, l'elfe se leva, révélant un corps harmonieux. Les courbes très prononcées de sa taille et de ses hanches contrastaient avec la petitesse de sa poitrine. Fermes et ronds, ses jeunes seins faisaient taire les traits presque trop accusés de son bassin. Les servantes enveloppèrent Lanaë dans de grands linges blancs et l'emmenèrent hors de l'eau. L'elfe fit un signe de la main, et elles se retirèrent sans bruits. Lorsqu'elle fut seule, elle s'installa à sa coiffeuse. Là, elle sortit un peigne en corne et en or ciselé qu'elle passa dans ses longs cheveux blonds. Tout en contemplant son reflet dans l'immense miroir, elle s'interrogea sur le destin de l'ivrogne.

« Votre père vous demande pour le souper, fit une voix de femme derrière la porte.

- Dites-lui que j'arrive »

Quelques instants plus tard, Lanaë arriva présentable dans la salle du repas. Son père leva les yeux à son entrée, charmé.

« Asseyez-vous ma douce enfant. »

Sur la table en bois de chêne avait été posée une nappe de tissu brodée, et sur cette nappe, de nombreux plats, ainsi qu'un service en argent. Une odeur délicieuse s'échappait de bols en verre givré. De petits récipients peints à la grisaille avec des rehauts d'or.

Quand les domestiques s'éclipsèrent, la famille réunie autour de la table commença à manger. Comme à chaque repas, la conversation tournait autour des activités pratiquées par Lanaë, notamment la musique. Mais ce jour-là, elle fut écourtée par une triste nouvelle.

« Deux de nos gardes ont trouvé la mort avant-hier, déclara Danthanel. L'homme qui a commis cet acte est décrit différemment d'un témoin à un autre. En tous cas, ceux qui ont vu la scène s'accordent à dire qu'il était grand, vêtu d'une cape noire et d'un gilet en cuir. Ils disent que c'était inattendu et terrifiant. De surcroît, il aurait prononcé de sombres formules d'Arcane. »

Le père porta son gobelet à sa bouche, il but une gorgée, et poursuivit :
« Ce matin, un marchand a affirmé qu'il avait les cheveux bruns.. enfin, au regard des mèches qui tombaient sur son front. »

A cet instant, Lanaë avala de travers. Il lui sembla que l'inconnu qu'elle avait recueilli il y a quelques jours correspondait à cette description. Vu la façon dont le dépeignaient les habitants d'Asteras, ce devait être un vil personnage. Aussitôt, elle fut saisie d'un sentiment de culpabilité. Ses joues rosirent peu à peu. Elles devinrent bientôt cramoisi. La prêtresse baissa la tête pour dissimuler sa gêne.

« Qu'y a-t-il ma fille ? demanda Danthanel, tiré de son discours par l'attitude de Lanaë.

- Il n'est rien, murmura-t-elle.

- Dans ce cas, pourquoi êtes vous rouge écarlate?

- Il n'est rien », répéta Lanaë, doucement.

Elle était de nature obéissante, mais l'état d'ébriété d'un elfe l'avait poussée à violer les règles. Le soir où elle avait vu cet homme saoul dans une ruelle, elle avait pris la décision de l'aider, malgré les mises en garde d'Aclé. Et désormais, elle allait le payer.

« Appelez moi Acle », ordonna Danthanel à une suivante qui s'executa.

Après deux battants de porte, la demandée fut dans la pièce. Ses yeux se posèrent sur sa maîtresse puis sur le maître de la maisonnée.

« Vous êtes à mon service, n'est-ce pas Acle?

- Oui monsieur

- Aussi, je sais que vous et ma fille êtes d'une grande complicité. Je me trompe?

- Non monsieur

- Alors pouvez-vous m'expliquer pourquoi ma fille rougit lorsque j'évoque l'évènement meurtrier survenu hier?

- Je.. je ne sais pas, monsieur, balbutia Acle

- Avez-vous eu connaissance de quelque rencontre entre ma fille et un homme ? Bien que je le lui ai défendu... »


La servante resta muette, et le père demeura sans réponse.

Danthanel, excédé, déchira ce silence : « Dites-moi ce qu'il s'est passé Acle ! »


Finalement, Acle raconta ce qu'il s'était passé, et ce devant Lanaë. Un simple ordre l'avait fait plier, malgré sa dévotion.
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