Affalées autour de moi, les suivantes hystériques, quoique bienveillantes, déchiquetaient ma pudeur en mille lambeaux. Le sol, lisse et froid ajoutait à ce malaise. Pourquoi si peu de liberté ? Cette question de tous les instants raisonnait dans mon coeur. Un coeur pressé comme une orange, quelque agrume perdant toute sa saveur et sa consistance.
« Il fallait bien qu'on la repêche. » commenta à nouveau la domestique la plus imposante.
On parlait de moi comme d'un poisson. Pensait-elle que je suis une sirène ? Certainement. Sur la peau, mon corps transi de froid dessinait des écailles bleues, tout en transparence, et mes deux jambes ciselées rappelaient celles de la séduisante créature. A côté, les servantes ressemblaient plus à de grosses anémones. Et dans ce saisissant contraste, chacune d'elles observait, presque jalousement ma nudité. C'était comme pour l'arracher à la réalité. Toutefois, nul vêtement ne tomba du ciel de sorte qu'il me recouvrit tout entière. Je restais là, disséquée par des regards, presque sans dignité. Mes pieds auraient voulu trouver refuge dans une pantoufle et mon corps s'enrouler dans un tissu épais.
Si seulement je pouvais m'éclipser ! Hélas, je crois que nous n'avons pas ce pouvoir. En ai-je au moins ? Bien sûr... Voyons, tu es mage. Que fais-tu de l'apprentissage des hautes arcanes, à l'école de magie d'Asteras ? Arca..quoi ? L'étude de la magie, si tu préfères. Je m'étonne que tu ne te souviennes pas un temps soit peu de cet enseignement ; tu t'es dotée pour la toute première fois d'un bâton et tu étais si fière ! Je te revois avec ce visage jeune et enjoué, des manuels sous les bras. Etais-je douée ? En aéromancie, comme tant d'autres, tu as une formation d'excellence. Par ailleurs, tu avais rassemblé de multiples autres savoirs, de par ton expérience du nomadisme, ta complicité avec la nature et tes rencontres. Il y avait du grand, en toi. Et l'usage du passé ne me rassure guère...
Lorsque je relevai la tête, les deux femmes étaient parties. Par terre, traînait une robe en velours émeraude avec un empiècement de satin. Surprise qu'on me laissât seule, je décidai d'accepter l'invitation. Tête la première, je plongeai dans l'énorme masse de tissu puis j'en sortis habillée selon les convenances.
Fryelund, ce que tu as l'air bête ! Je n'en crois rien !
Prudemment, je me dirigeai vers le miroir mural. Ma quête s'acheva bientôt. Verdict : j'étais (en effet) ridicule. J'avais beau me regarder sous tous les angles, le vêtement que je portais me donnait l'allure d'une fille de taverne. De fait, ma mince poitrine avait triplé de volume - et je me demandais d'ailleurs si ces seins étaient bien les miens -, ma taille était devenue celle d'un enfant et que dire des épaules ! Peu m'importaient les soieries et dorures, c'était d'une laideur terrible.
Soudain, un grincement emplit la salle d'eau, interrompant ma séance de relooking. Un battement de porte, un pas ferme, et un homme, inconnu d'à lors, s'élança dans la pièce. Il avait l'air aussi étonné que moi. D'ailleurs, il semblait gêné de m'avoir découverte en cet endroit et s'empressa-t-il d'expliquer : « Vraiment, vous m'en voyez désolé. Le Maître taillandier m'a envoyé réparer l'une des vasques et à vrai dire, je n'ai pas pensé que... ». La fin de sa phrase sembla se perdre dans mon regard puis, revenu des abîmes, il s'exclama : « Mais vous l'avez mise à l'envers ! »
J'observai furtivement ses yeux pour voir ce qu'ils fixaient avec tant d'insistance. Apparemment, cela concernait la manière dont j'étais accoutrée. Il se mit à rire tout bas et aussitôt je compris. Si je voulais remettre cette chose à l'endroit, il me faudrait l'enlever ; aussi, le fis-je comprendre à l'intrus.
« Excusez-moi ! », s'exclama-t-il, tout en se retournant.
Déconcertée, je reculai légèrement, m'assurai que de là où il se trouvait, l'homme ne voyait rien puis fis tomber la robe sur mes genoux. Celle-ci possédait un laçage à l'emplacement de la poitrine ; c'est ce qui allait devant.
Pas facile de porter ce genre de trucs !Pour rien au monde, je n'aimerais être à ta place !Encore merci pour ton aide...
« Avez-vous terminé ? demanda l'inconnu.
- Euh... oui, je crois, dis-je à demi-voix.
- Vous croyez ? »
Quand il se retourna, je nouais avec mal les lacets. Il dut être pris de pitié car il offrit de s'en occuper. Devais-je accepter ? Comme je ne disais mot, il s'avança et saisis les derniers fils pendants avant d'effectuer quelques jolis noeuds. Rassurée par un tel savoir-faire, je me décrispai peu à peu et abandonnai le vêtement à sa performance. J'étais intriguée par tant de rapidité. On aurait dit qu'il avait fait cela toute sa vie.
« J'ai souvent vu faire ma soeur », confia-t-il, comme je le regardais. « Nous sommes jumeaux. »
Lorsqu'il eut fini, il me fit tourner sur moi-même et déclara d'un ton des plus sérieux « Cela vous sied à ravir, jeune dame ». Sans le remercier, je jetai un oeil au tableau réfléchissant pour vérifier ses dires. C'était tout aussi laid que la première fois, mais au moins c'était à l'endroit.
« Hm... laissez-moi l'arranger. » fit-il. Sur ce, il sortit de nulle part un poignard au manche décoré et se mit à tailler dans le tissu. Peu de temps après, la robe n'avait plus rien de surfait et de fantaisie ; elle était d'un caractère simple tout comme moi.
Douce amertume
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13-05-2012, 18:08:18
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