23-04-2012, 17:14:30
Te souviens-tu de ces jours paisibles ?
Citation :La jeune elfe escalada prestement le grand chêne abritant la demeure familiale, pour l'heure presque vide, et s'engouffra à l'intérieur, sans même faire mine de ralentir, se précipitant vers l'un de ses frères.
Celui ci avait à peine remarqué son entrée en trombe, tout préoccupé qu'il était par la tignasse rouge qu'il ne parvenait pas à dompter, malgré ses efforts continuels.
-Encore avec tes cheveux, p'tit frère ?
-Grmph...
Grognement contrarié. Lyss éclata de rire. Son cadet – bien qu'elle en eut encore deux autres plus jeunes – était le seul de la famille à arborer une tignasse aussi flamboyante qu'indomptable là où elle et leurs deux frères puînés avaient au moins la discrétion d'avoir de longues mèches sombres et lisses.
Indomptable, tel était bien le mot. Et l'elfe se serait bien passé d'un tel ornement capillaire, d'autant plus que ce n'était pas le genre de couleur à s'accorder avec les tons verts et bruns de la forêt de Pelethor... A moins de porter une capuche, pour la discrétion, il pouvait repasser... Il se concentra de nouveau sur ses mèches rebelles. En plus d'être rouges, elles avaient aussi la bizarrerie de blanchir au niveau de la nuque, le forçant à les porter long pour masquer cette hétérogénéité capillaire.
Il détestait ses cheveux, et sa sœur le savait bien. Et pourtant ça la faisait toujours rire, de le voir s'acharner ainsi sur sa coiffure. Elle le trouvait attendrissant. Et puis elle, elle les aimait bien, ses cheveux de feu.
Elle s'assit à ses côtés en les lui ébouriffant, sans tenir compte de ses protestations.
-Fait pas cette tête, de toute façon t'y arrives jamais ! Les parents sont partis ?
-Oui, avec nos deux petits frères, ils les emmènent voir notre tante... Ils l'ont dit hier. mais tu n'écoutais pas, comme à ton habitude.
-Les pauvres ! (Elle feignit de ne pas avoir entendu la pique.) Elle va encore les gaver de friandises...
-Comme elle le fait toujours... (Il fit mine d'examiner sa grande sœur d'un œil expert) Et visiblement, ça ne t'as pas trop mal réussit !
Elle accueillit la boutade d'un éclat de rire mi amusé mi scandalisé, lui assénant par la même occasion un coup de poing bien mérité sur l'épaule.
-Et alors, soeurette ? Tu me veux quoi, cette fois ? Lui demanda-t-il lorsqu'il eut finit de rire, frottant son épaule encore endolorie. Il était plutôt de faible constitution, un peu fragile quoi que pas mauviette pour autant.
-Bah, je voulais qu'on aille faire un tour, pour une fois qu'on est un peu tout seuls sans les parents ou les petits frères, ça nous ferait pas de mal, nan ?
-Sans doute...
-Et arrête avec tes ch'veux !!
Il lui répondit par un second grognement contrarié alors qu'ils se levaient et sortaient.
L'après midi débutait à peine lorsqu'ils passèrent à côté des dernières habitations de Mitriath, signalant la sortie de la ville et l'entrée dans la forêt proprement dite. Ils marchèrent un bout de temps, discutant de tout et de rien, croisant parfois des patrouilles, des mercenaires et des voyageurs, et plus rarement, quelques autres citadins occupés à flâner, tout comme eux.
Le crépuscule était proche lorsqu'ils décidèrent de rebrousser chemin. Ils avaient épuisé à peu près tout leurs sujets de conversation et restaient silencieux, appréciant la fraîcheur du soir. Soudain, ils s'arrêtèrent tout les deux, le regard fixé sur un point devant eux, sur la gauche de la route. Le rouquin fit un pas silencieux en avant, intimant à sa sœur de faire de même. Le mouvement qu'il avait vu avait cessé. L'animal devait être encore là, s'il avait fuit, ils auraient entendu sa cavalcade dans les fourrés... Lyss le suivait de près, aussi silencieuse que lui. Ils avancèrent de quelques mètres dans la pénombre avant d'apercevoir l'animal. Un renard, qui les regardait fixement, tenant une de ses patte au dessus du sol, babines retroussées. Lyss lui murmura quelques mots à l'oreille, le renard était blessé, sans quoi il aurait déjà fuit.
Tout deux s'immobilisèrent. L'animal les regarda encore quelques instants et, voyant qu'aucun des deux elfes ne bougeait, commença à reculer en boitillant. Une fois qu'il se fut assez éloigné, il se retourna et clopina le plus vite possible loin d'eux.
Lyss emboîta le pas à son frère lorsqu'il se lança à la poursuite de l'animal. Tout deux se faisaient le plus discret possible. Néanmoins, l'ouïe fine du renard lui permettait de percevoir leur présence et son allure ne faiblissait pas. Même s'il menait bon train, sa blessure ne lui permit pas de semer les elfes qui le traquaient.
Toujours silencieux, ils s'arrêtèrent de nouveau quand le renard disparut derrière un promontoire rocheux au dessus duquel poussait un grand orme. Ils le contournèrent et, plus ou moins cachés derrière une grosse souche, aperçurent une sorte de cavité, une petite grotte formée en partie par les rochers maintenus en place par les racines de l'arbre. Un gros buisson au port tombant laissait pendre ses longues branches souples devant l'entrée, la masquant en grande partie pour tout observateur qui ne serait pas assez attentif... C'est là que le renard – ou plutôt la renarde – avait établit son terrier.
Sentant la présence des deux elfes, elle n'osait y rentrer et ses petits, attirés par la présence de leur mère, pointaient timidement leur museau hors du trou creusé dans la terre, près de l'entrée de la petite grotte.
-Ho, c'est trop mignon ! murmura Lyss à son frère.
-Leur mère est blessée, elle ne peut plus chasser... Ils ne survivront probablement pas...
-Je sais... Tu penses à la même chose que moi ?
-Il faut croire que oui. Reste là, je reviens !
L'elfe aux cheveux flamboyants se leva et s'éloigna du terrier pendant que la renarde le fixait de ses prunelles jaunes.
Il hâta le pas et se mit presque à courir. Il rejoignit la ville rapidement, l'endroit étant situé assez près des premières habitations. Quand il entra chez lui, ses parents et les deux petits frères étaient déjà revenus. Il éluda les réprimandes maternelles, lui lâchant qu'il avait à faire avec Lyss et se saisit discrètement d'un beau morceau de viande fumée volé dans le garde manger familial, qu'il cacha dans un sac avant de repartir avec le tout, sac et viande, plantant là le reste de la famille.
Il rejoignit Lyss le plus vite possible. La nuit était presque tombée mais la renarde était toujours là. L'elfe s'avança vers elle et s'arrêta à distance respectable. Il s'accroupit sur le sol. Lyss le rejoignit et fit de même alors qu'il tendait le morceau de viande à l'animal.
Étonnée mais néanmoins alléchée par le fumet, la renarde hésita tout d'abord. Puis, tiraillée par la faim, elle finit par s'approcher en clopinant et, d'un claquement de gueule, arracha la nourriture des mains de l'elfe. Elle recula et se glissa dans le terrier, sans doute pour manger et allaiter ses petits.
Lyss et son frère se regardèrent, affichant un sourire complice.
En rentrant chez eux, toute la famille les assaillit de questions. Où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Pourquoi être rentrés si tard ? Ils leur suffit de se concerter d'un regard pour savoir qu'ils ne diraient pas la vérité. Aussi mentirent-ils de leur mieux, prétextant qu'ils avaient passé la journée à entraîner Lyss à la magie et que son frère était rentré pour récupérer un livre qu'elle avait oublié.
Bien que leur mère se montra encore un peu sceptique, leur père et leurs deux cadets gobèrent l'histoire d'un bout à l'autre.
Le lendemain soir, ils retournèrent au terrier sous les pierres. La renarde n'était pas encore là. Ils l'attendirent jusqu'à la nuit tombée, mais elle ne vint pas. Inquiets, ils revinrent le lendemain, dès la fin d'après midi. Elle se montra au crépuscule, toujours boitillante. Rassurés, ils recommencèrent la même opération que deux jours plus tôt, offrant à l'animal un repas de viande, mais aussi de petits fruits qu'ils avaient récoltés en chemin.
Plusieurs soirs de suite, ils retrouvèrent la renarde. Au début, elle se montrait méfiante mais, au fil des soirs, elle s'habituait à leur présence et ne les remarquait presque plus. Au dixième jours, les deux elfes furent heureux de constater qu'elle attendait même leur venue. Sa patte allait également de mieux en mieux, et ils avaient bon espoir de voir la renarde reprendre la chasse très bientôt.
Leurs allées et venues semblaient bien étranges aux yeux de leur famille, mais nul n'osait trop les questionner. Leur mère avait également remarqué les disparitions de nourriture, mais Lyss prétendit avoir parfois une petite fringale nocturne depuis quelques temps, expliquant ces disparitions. Son frère confirma ses dires, faisant même mine de penser qu'elle avait prit du poids... Piégée, la pauvre Lyss ne put rien dire pour contredire son frère sous peine de dévoiler le mensonge... « j'me vengerai ! » lui dit-elle en aparté avant qu'il se mette à rire.
Du côté du terrier, les deux elfes étaient presque entièrement intégrés à la famille des renards. La mère ne les craignait plus vraiment et les laissait presque la caresser, quand aux petits, lorsqu'ils commencèrent à sortir du terrier et à jouer entre eux, ils s'avancèrent derechef vers les deux étrangers lorsqu'ils les virent arriver, ils les flairèrent en tournant autour... D'un jappement, leur mère aurait pu les rappeler, mais elle n'en fit rien, se contentant de surveiller très attentivement les réactions des uns et des autres. Lyss était aux anges alors que son frère taquinait l'un des renardeau de la main. Par jeu, l'animal lui mordilla les doigts. Voyant leur frère agir, les petits décidèrent de l'imiter et se jetèrent sur le bras de l'elfe, qui éclata de rire sous les morsures des petites dents, pas assez acérées pour lui faire grand mal.
-C'est quand même marrant qu'ils nous acceptent comme ça. S'étonna un jour Lyss en caressant un renardeau qui paressait au soleil, allongé sur une pierre. Ils grandissaient plutôt bien. Leur mère avait reprit la chasse et il n'était pas si rare qu'elle laisse les deux elfes seuls avec ses petits sans en éprouver de grande crainte.
-Oui. Mais c'est parce que leur mère veut bien. On l'a aidée, elle nous fait confiance.
Tout les jours ils se retrouvaient au terrier, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige. Parfois séparément mais ensemble le plus souvent. La petite caverne de pierre s'était révélée plus spacieuse que prévue et en cas de mauvais temps leur fournissait un bon abri où ils pouvaient rester paisiblement jouer avec les renardeaux. Quelques fois ils faillirent accidentellement vendre la mèche concernant leur secret. Leur plus grande peur, ils la vécurent le jour où ils durent se terrer au fond de la petite grotte, cachée par les lianes du gros buisson, pour ne pas être repéré par un chasseur qui passait, traquant une proie. Leur cœur manqua un battement lorsqu'il passa tout près du terrier dans lequel les petits étaient terrés, mais trop préoccupé par sa traque, il passa son chemin sans rien voir.
Après cet épisode, ils se méfièrent de plus en plus vis à vis de leur cachette secrète. Ils différaient leurs départs, partant à quelques heures d'intervalles et s'assuraient toujours de ne pas être suivis, multipliant parfois les détours d'une façon un peu trop zélée...
Si quelqu'un savait pourquoi ils venaient là, une âme malveillante aurait pu vouloir s'en prendre aux renardeaux. Et puis ils avaient conscience qu'ils étaient des animaux sauvages. Jamais ils ne devaient dépendre d'eux ou d'autres elfes, ils se le jurèrent.
Parfois, ils se disputaient, comme tout frères et sœurs, et toujours, leur lieu de réconciliation était l'arbre aux renards, comme ils l'avaient surnommé. C'est là aussi qu'ils parlaient seuls à seuls de toutes les secrets qu'ils avaient besoin de confier, sous le regard vigilant de la renarde, perchée sur le promontoire rocheux. les secrets de jeunes elfes que leurs parents ne devaient surtout pas savoir... Et Halista seule savait à quel point la vie sentimentale d'un jeune elfe pouvait être mouvementée...
L'automne venu, les renardeaux quittèrent le terrier, maintenant assez grand pour vivre par eux même, mais leur mère continuait à venir voir les deux jeunes elfes.
Maintenant qu'elle n'avait plus de petits à protéger, elle se montrait bien plus curieuse vis à vis d'eux, et même parfois elle jouait avec eux comme elle le faisait avec ses propres enfants. Lorsque la neige recouvrait la forêt de son épais manteau blanc, ils leur arrivaient de passer la soirée dans la petite grotte, tout les trois. La renarde reniflait leurs fourrures censées les préserver du froid d'un air circonspect et les deux elfes la regardaient faire en riant. Une fois, alors qu'elle s'approchait de lui le museau bas, le rouquin ébouriffa subitement les poils de l'animal qui recula vivement, surprit.
-Hé bien, quoi ? Moi aussi je vais voir si tes poils te tiennent chaud, ne me regarde pas comme ça ! »
Lyss éclata de rire, bien vite imitée par son frère tandis que la renarde, rassurée par leur gaieté, reprit son examen minutieux.
L'hiver était-il plus court cette année là ou bien le semblait-il seulement, tant il était égayé par leur amitié avec l'animal, les deux jeunes elfes n'auraient su le dire. Toujours est il que bien vite le printemps revint, et avec lui, une nouvelle portée de renardeaux.
Un soir, Lyss rejoignit son frère, déjà en train de jouer avec eux. Elle avait prit du retard, elle s'était arrêtée pour cueillir des fruits sauvages dans l'intention de les partager avec son frère, mais aussi avec la renarde, qui s'était avérée être une grande gourmande...
Ainsi, elle le trouva là, assis par terre, en train de taquiner trois petites boules de poils rousses. Tout concentré qu'il était, il ne l'avait pas entendue arriver. Ses cheveux avaient bien poussés depuis le temps, il faut dire qu'il s'en souciait moins, depuis qu'ils avaient rencontré la renarde. On voyait même quelques mèches blanches qui livraient bataille aux mèches rouges sur son dos. Elle resta quelques secondes immobiles, un étrange sourire flottant sur son visage.
Son frère sursauta lorsqu'elle se signala enfin...
-Alors ? Ça va, les renards ?
-Hé, tu m'as fait peur, Lyss ! Bien sûr qu'ils vont bien, ça se voit, non ? (un éclair roux lui bondit sur le bras, qu'il chassa d'une féroce chatouille sur le ventre.)
-Hum... Ça valait aussi pour toi... !
-Quoi ?! (il se retourna complètement vers elle, incrédule, alors que deux boules de poils revenait à la charge.) Qu'est ce que tu veux dire ?
Lyss lui répondit par un sourire taquin en s'asseyant à ses côtés. La renarde descendit de son promontoire habituel, intéressée par les fruits qu'amenait la jeune elfe.
-Renard... Ça te va bien, comme surnom...
-Mais... N... Non !
Son sourire s'agrandit encore face aux protestations mal aisées de son frère.
Comme elle le faisait si souvent, elle ébouriffa la crinière rousse et blanche, si semblable à celle des jeunes renards.
Non...