La chasse
#3
Un long chemin

Le rôdeur se dirigea vers le magasin central d'Asteras.
Il refit ses provisions et vendit quelques fleurs sauvages et rares qu'il avait récoltées dans ses pérégrinations aux frontières du monde connu.

Il se dirigea ensuite vers la Banque pour y déposer le peu d'or qu'il possédait.
Là où il allait, il n'en avait pas besoin.
Il savait que si la flamme s'éteignait à nouveau dans les caves sombres, cet or serait réclammé par un vieillard aux longs cheveux blancs et fins.

S'écartant de l'école de magie, comme par aversion, il se dirigea vers les portes Ouest de la cité.
Curieusement, il ne croisa aucun garde de ce côté ci des portes.
Il faudra qu'il fasse savoir aux conseillers de la Reine Asthalia que cela était dangereux.
Il savait à quel point la garde était importante... et à quel point son absence était dangereuse !

Il passa les portes.
Devant lui s'étendaient jusqu'à l'infini des lieues de pelouses calcaires, à l'herbe rase, de tous les tons de vert et de jaune connus sur cette terre.
Un léger vent frais balayait cette plaine et venaient mourir contre la cité dans son dos, pas assez puissants pour remonter jusqu'en haut des impressionnants remparts.
Quelques affleurements rocheux et quelques rares fleurs s'éparpillaient sans aucune logique dans cette immense étendue uniforme.

Melmoth se mit en marche.
Tout son corps lui semblait raidi par l'inactivité.
Il avait un but précis mais savait qu'il lui fallait retrouver sa souplesse, sa force et son agilité avant d'espérer pouvoir tenter une rencontre avec son ennemi et tenter de lui ôter la vie.
En l'état, l'échec était certain.
Il forcait donc chaque jour un peu plus le pas, puisant dans ses réserves pour repousser ses limites jusqu'à atteindre l'endurance qu'il avait acquise par le passé.
Les gestes d'entrainement revenaient naturellement et chacune des marques que les flèches et les traits des Nains avaient laissées sur son corps lui faisaient serrer les dents et rendre sa volonté plus ferme.
Il courait arc au poing, encochait flèche sur flèche et les décochait droit devant tout en courant, les récupérant en chemin.
Il alternait ses courses entre le jour et la nuit, courant de plus en plus longtemps à chaque fois, jusqu'à ce que ce choix ne soit que l'objet de sa seule volonté et non pas celui de son corps.
A chaque pause, il faisait des exercices pour augmenter sa force et sa souplesse, puis renforcait ses techniques de dissimulation et de survie.
Après plusieurs semaines de ces exercices, il était de nouveau le rôdeur qui avait surpris les Nains dans leur forteresse du Nord
Il était même bien plus fort maintenant, et bien plus sage aussi.

Il progressa d'abord vers l'Ouest puis s'orienta vers le Sud et longea la côte, bercé par le son des vagues à chaque instant, qui maintenaient sa concentration à son maximum par leur régularité sans faille.
Puis il atteint les limites du monde connu, que personne n'avait jamais franchi dans les deux sens.
Au loin, des nuages noirs et très mobiles, zébrés d'éclairs blancs et grondants déroulaient toute leur puissance depuis le ciel jusque sur le sol, formant une barrière très dissuasive.
On pourrait les croire vivants. Peut-être même n'était-ce pas une légende.

Melmoth passa plusieurs jours à les observer à distance, dormant peu, sans cesse en alerte et aux aguets à chaque coup de tonnerre plus puissant qu'un autre.
Ils ne bougeaient que dans des mouvements verticaux, comme des volutes se retournant sans cesse sur elles-mêmes, se mélangeant dans toutes les nuances du bleu foncé jusqu'au noir le plus profond.
Le rôdeur s'approcha prudemment et s'arrêta à quelques pas, manquant de peu de plaquer ses deux mains sur ses oreilles tant le fracas était assourdissant.
On aurait dit qu'un ouragan évoluait juste devant lui, arrêtés par une barrière magique invisible, sur laquelle ils ne cessaient d'abattre leur poing rageur.
Il tendit le bras jusqu'à ce que son gant ne soit qu'à quelques pouces de la barrière, comme attiré par le phénomène.
Une matière invisible, souple et intangible mais d'une puissance incommensurable l'empêchait d'entrer en contact.
Levant les yeux, le phénomène n'avait pas de limite jusqu'au ciel.
De chaque côté, il en était de même.

Le rôdeur fit une prière à Fryelund et entreprit de remonter vers le Nord en gardant une certaine distance avec les Limites du Monde.
Pendant plusieurs jours, le paysage ne changea pas.
Il longeait le bord du monde, à sa gauche un nuage infini de violence et de noirceur qui criait son impuissance devant une barrière invisible, à sa droite la même pelouse rase et vert-jaune jusqu'à l'horizon.
Puis quelques arbres apparurent, d'abord des bosquets isolés puis des groupes plus nombreux, comme une ancienne forêt qui aurait perdu de sa prestance, à l'image des cheveux clairsemés sur le crâne des anciens.

Alors le rôdeur orienta son chemin vers le Nord-Est.
Il ne croisa personne, progressa à pas rapides, ne s'arrêtant que pour se restaurer frugalement ou prélever quelques fleurs ou écorces rares qui lui assureraient un revenu modeste suffisant pour sa subsistance.

Cela faisait maintenant près de vingt cycles qu'il avait quitté la cité d'Asteras, n'avait croisé aucun être vivant ni prononcé aucune parole.
Il apercevait devant lui les volutes fines de fumées grises au-dessus des toits mordorés du village de Tilador Erdana.
Sa retraite touchait à sa fin.
Il était ressourcé, motivé comme jamais, prêt à accomplir sa mission et plier le genou devant son Maître avec honneur.
Il se fondit dans les rues du village au crépuscule, juste avant la fermeture des portes.
Il se retira à l'auberge, goûtant avec bonheur l'ambiance feutrée de la vie si élaborée de ses compatriotes.
Et puis soudain lui revinrent en mémoire les paroles du vieillard.
Une grimace se fit sur son visage et il serra les dents. Il s'enfuit plus qu'il ne quitta l'auberge, fendant la foule comme une ombre et disparaissant dans la nuit avant que la porte ne se referme.

Il s'approcha des portes Ouest, plus concentré qu'il ne l'avait jamais été.
Le dos contre le mur, en appui sur un pied, sa capuche rabattue, il se reposait les yeux ouverts, son arc dans une main, une flèche dans l'autre.

Dans quelques heures, la chasse débuterait.
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