Lavellan se tenait au pied d'un autre pylône de magie, cherchant encore une fois à atteindre son mécanisme d'activation. Si la trappe se situait au même endroit que sur le précédent, elle n'aurait pas de mal à la débusquer.
Elle s'était faufilée de jardins en jardins, sous couvert des arbres ou à l'ombre des maisons en colimaçons, évitant l'exposition des grandes rues pavées tant qu'elle le pouvait. Le reste de ses camarades semblait suivre Soltra au sud. Bien pensa-t-elle, cette mission requérait une certaine furtivité qu'un groupe armé aurait mis en péril. Elle les rejoindrait plus tard.
Le grincement de la trappe qui s'ouvrit lui arracha un sourire de contentement, aussitôt effacé par le retentissement d'un brame.
Une atrocité humanoïde lui fonçait dessus.
Lavellan fit volte face, parvenant à peine à lever son bouclier à temps pour dévier l'impact d'un coup de…pince de crabe ?! La bête qui se tenait devant ses yeux semblait tout droit sortie d'un laboratoire de savant fou : tête d'âne sur corps d'homme et pinces de crabes géantes en guise de mains. Une langue démesurée surgissait de sa bouche alors qu'elle se jetait à l'attaque, les yeux déments, poussant des hurlements bestiaux.
Les coups portés furent faciles à parer –Lavellan en avait vu d'autres- mais elle était repérée, et elle aperçut du coin des yeux la silhouette énorme d'une sorte de golem en armure qu'elle avait pris soin d'éviter pour arriver jusqu'ici. Il fallait faire vite. Elle repoussa son adversaire d'un coup de bouclier et, ainsi dégagée, essaya d'activer le pylône.
Le groupe évoluait tranquillement dans la capitale, se dispersant pour remplir les différents objectifs. L'avancée s'en trouvait fort réduite, et Soltra suivait docilement les meneurs. Ses conseils avaient été écoutés, puisque la majeure partie des troupes longeait la tour des mages par le sud.
Avec une vue imprenable sur la cité à faire pâlir toutes les agences de voyages, Ekhkron étudiait la situation et comprit qu'elle n'était pas à leur avantage. Pryd et ses sbires s'étaient introduits par la porte nord, et semblaient se scinder en trois groupes, dont un se rapprochait, par le nord, dangereusement de celui de Soltra. Si l'assassin était vue, malgré son omniscience depuis sa position, Ekhkron ne pourrait pas l'assister. Il est dommage de perdre une recrue de qualité, et si influencable. Il se permit un sourire en pensant au jour où il avait placé dans ses mains ses dagues faites d'Angil, qui désormais, ne la quittaient plus.
L'heure n'était pas au souvenir, il fallait se presser pour organiser l'offensive sans aucun point faible. S'approchant des remparts sud de sa forteresse, il lança mentalement à Soltra et son escouade avec une voix impérieuse.
Soltra ! Le temps presse ! Les autres exarques et moi-même allons contenir la première vague de Pryd, mais vous devez protéger nos progénitures avec vos sous-fifres.
Puis il reprit avec une voix plus posée, plus calme, presque maternelle.
Notre avenir dépend de vous, étrangers, et nous saurons récompenser à leur juste valeur ceux qui protègent nos intérêts, qui défendent nos valeurs.
Un court silence appuya sa dernière phrase, était-ce un signe de désespoir des holdars de faire appel à des êtres inférieurs, des esclaves ? L'aveu de faiblesse fut de courte durée, l'Immortel rugit sèchement dans toutes les têtes.
Qu'ils prouvent leur utilité ! Nous tolérons tout juste leur présence au sein de la capitale, l'effort n'est pas moindre pour nous. Alors hâtez-vous, misérables avortons !
Des discours incohérents, voire contradictoires. Est-ce vraiment la même personne qui prononçait tous ces mots ?
La dernière fois qu'Evrard avait affronté les holdars d'isaroth, c'était il y a de nombreux mois ... peut être même plus d'une année. Il lui en était resté une impression de force inéluctable, d'orgueil justifié. Son groupe et lui s'en étaient sortis par la fuite, face à un ennemi supérieur en tous points.
Et voilà qu'ils entraient dans la mystérieuse Isaroth aux hautes tours, aperçue de loin, à l'horizon, mais jamais vraiment contemplée par d'autres que les holdars.
La surprise était de taille. La ville avait tout pour être majestueuse, superbe, impressionnante. Si ce n'était les bâtiments dévastés et les holdars en furie qui se tuaient les uns les autres en hurlant. Et le petit aperçu des Exarques laissait dubitatif sur leurs capacités à gérer la situation.
Le talien haussa les épaules, dépités. Le moment n'était pas venu de faire la fine bouche ; ils représentaient leur seul espoir de neutraliser Pryd, surtout maintenant que la majeure partie des peuples venus l'affronter s'était ralliée à la cause du holdar renégat.
Pour autant, les exarques auraient pu leur faciliter un peu la tâche.
Ripostant à l'assaut d'un loyaliste qui ne se posait pas trop la question de savoir si les humains et elfes qui se tenaient là étaient ses ennemis ou non, Evrard pensa très fort suite à l'incursion télépathique d'Ekhkron.
"On s'en sortirait mieux si on n'avait pas à se défendre des holdars encore fidèles à votre cause !"
Quelle folie ! Haine et destruction, à perte de vue !
Les holdars, dans leur magnificence, dans leur supériorité auto-proclamée, n'étaient finalement pas si différents des autres peuples. S'entredéchirant et saccageant leurs belles oeuvres telles des bêtes à l'orée de la folie. Cocasse situation !
Idya ne les connaissait pas. Elle ne faisait pas partie de la première aventure et c'est avec les yeux naïfs et dépourvus de tout ressenti passé qu'elle les lorgnait, sans cette douce prudence que d'autres du groupe dévoilaient sur leur visage. Était-ce un mal ? Cette "inconscience" de la jeune sorcière allait-elle l'aider ?
Un rapide coup d'oeil sur le champ de folie lui permit de remarquer que certains renégats étaient mal en point. Dans sa naïveté toute relative, ses mains se mirent à crépiter et son regard flamboya l'espace d'un battement de cil. Elle était prête.
Contrairement aux autres, elle ne prit pas la peine de se dissimuler ou d'avancer discrètement. Bien droite, elle s'élança, donnant le coup de grâce à deux renégats sur son chemin, soufflant leur vie avec une aisance déconcertante, lui dotant d'une euphorie inconsidérée.
Quelle folie !
Toujours emplie de cette insouciance, elle s'arrêta devant un pylône abîmé et entreprit de le réactiver sans le mode d'emploi. La folie ressemblait-elle à la nôtre, mais pas le mécanisme ! Idya était toute concentrée sur sa tâche, elle ne vit pas l'ombre qui se postait dans son dos.
Au moment où elle avait l'impression de saisir la mécanique holdar, un beuglement strident vint arracher la jeune pyromancienne à sa concentration. Elle se retourna brusquement et vit trop tardivement la pince s'abattre sur son flanc. L'attaque lui coupa la respiration et elle ne put se protéger des deux autres qui suivirent aussi aisément le chemin de son corps déjà mutilé.
Chancelante, elle posa son regard sur son assaillant, une bête hideuse, sans doute pas suffisamment intelligente pour se rendre compte que si elle n'avait plus qu'un renégat sur son dos, c'était grâce à la femme en rouge chatoyant devant elle. Le feu s'embrasait dans son regard où se mêlait les sentiments de dégoût, de douleur, d'injustice... et de folie !
Le message d'Ekhkron venait de leur être communiqué, Idya, laissant envahir sa rage, s'écria :
Exarque ! Ne voulez-vous pas guider vos sbires pour qu'ils s'attaquent aux bonnes personnes plutôt que d'importuner vos nouveaux alliés ?
Elle ne savait pas si ses mots s'étaient envolés de sa pensée ou de sa bouche mais elle prit le pari qu'ils allaient atteindre la cible. Douce folie ?
Elle se retourna et se remit à son objectif, le pylône.
Un sentiment de colère s'empara de l'exarque, et l'ambiance - mentale - s'alourdit. Pour qui se prenaient ces humains si fébriles, insignifiants ? Pouvaient-ils se permettre d'être si insolents devant Ekhkron, un exarque, un symbole de la suprématie des Holdars ? Une voix arrogante et autoritaire résonna dans toutes les têtes.
Pour qui vous prenez-vous, misérables cloportes pour donner des ordres à un holdar, à un exarque, à MOI ? La mort es la seule réponse envisageable face à cette arrogance déplacée !
L'ambiance devint si tendue que la pression si forte amoindrit les réactions au combat du groupe. Ils s'attendaient à une réaction violente de la part de l'Immortel, un assaut mental les projetant physiquement à la renverse. Un souffle dont les conséquences seraient...
Rien.
Seule un murmure à peine audible et chevrotant en guise de réponse.
Nous... Nous allons voir ce que nous pouvons faire.
Quelques instants plus tard, Ekhkron avait repris ses esprits et annonça avec confiance.
Etrangers, les fidèles vont tolérer votre passage, non sans grincer des dents. Au moindre faux pas, nous vous écraserons comme des vulgaires cafards.
Seule dans son coin, Idya constata que le mécanisme du Pylône était trop endommagé pour avoir une quelconque efficacité.
C'est pas possible, je dois être en train de rêver ... c'est un vrai cauchemar !
Depuis qu'il avait émergé du cercle de téléportation Halko avait du mal à croire à ce qu'il voyait. Au fur et à mesure de ses découvertes tout semblait aller de pire en pire : la ville d'Isaroth, sans doute féérique aux temps de sa splendeur mais dont la moitié des habitations tombaient à présent à l'abandon, ses habitants qui s'entretuaient à chaque coin de rue, des créatures cauchemardesques mi-hommes mi-animaux, semblant issues d'opérations pratiquées par un chirurgien fou, et enfin Ekhkron, dont les paroles qui résonnaient encore dans sa tête prouvaient qu'il était aussi dérangé que Soltra, si ce n'est plus !
Devant un tel chaos Halko songea que la fin des Holdars, qu'il avait imaginé proche en apprenant leurs problèmes de procréation, serait encore plus rapide que prévu. Quel que soit le camp vainqueur de la guerre civile au milieu de laquelle il se trouvait, les survivants n'auraient pas les moyens d'enrayer la chute de leur civilisation. Et finalement le comportement des exarques l'amenait presque à revoir sa position sur Pryd, visiblement le plus sain d'esprit de tous ... ce qui ne le rendait pas moins dangereux, bien au contraire !
De plus en plus incertain sur l'issue possible des évènements en cours, Halko continua néanmoins à avancer dans la ville, et avisant un pylône magique il se dirigea à son pied. Il avait vu de loin Lavellan en activer un après avoir ouvert une trappe, le mécanisme ne devait sans doute pas être trop complexe, il devrait bien être capable d'activer celui-ci.
Séparée du groupe, Lavellan scrutait les allées d'Istaroth à la recherche de pylônes de magie. De par leur taille imposante ils perçaient même la cime des arbres et leur rayonnement bleuté en faisaient des balises faciles à repérer. Le plus difficile était de s'en approcher sans se faire repérer.
L'elfe avait réussi à se débarrasser de l'homme-bête qui l'avait agressée, mais son brame avait alerté les exarques présents dans la zone et en contournant ceux-ci, au coin d'une demeure délabrée, elle était tombez nez-à-nez face à un guerrier immortel, un Holdar dont on reconnaissait à peine les traits dissimulés sous une armure de plomb qui semblait se mouvoir d'elle-même plutôt que par la volonté de son porteur.
M..Merde ! Le bouclier levé, Lavellan s'apprêta à encaisser le choc mais le guerrier éternel resta immobile un instant, planté devant elle, la surplombant d'un bon mètre. Son attention s'était portée ailleurs, au nord, où une troupe d'Agars menée par Hodor Hodörsson était en passe de s'introduire dans l'armurerie. Dans un crissement métallique, le guerrier éternel la dépassa sans lui prêter plus d'attention et se dirigea vers ces proies autrement plus alléchantes.
La chance est avec moi pensa Lavellan, loin de se douter qu'elle venait d'être sauvée par les négociations de ses camarades. Le chemin vers le prochain pylône s'était libéré, il était juste là, au bout de l'immense rue pavée.
Courant sur la pierre lisse, Lavellan repéra une nouvelle silhouette qui lui barrait le chemin. Tant pis, on force le passage se dit-elle, mais lorsqu'elle ne fut plus qu'à une vingtaine de mètres, elle vira sec et s'enfonça aussitôt dans le parc le plus proche, ayant reconnu qui se tenait là, au beau milieu d'Istaroth. Pryd.
Changement de plan, un autre pylône se dressait au nord de sa position, à travers le parc, mais entouré de renégats. Elle préférait tout de même cette option. Pryd était…pour Halko, dira-t-on.
A peine fut-elle sortie de sous les sapins bleus que quatre des renégats se jetèrent sur elle. Il allait falloir se débrouiller pour activer le pylône entre deux passes d'arme.
Naviguant entre les écueils et ses alliés, la morse prenait des risques mesurés. Plein ouest, elle commençait à voir un changement de population, ça devenait étrange. Le temps d'analyser la situation elle lâchant l'ancre à coté d'un pylône et de Soltra.
Du haut de sa tour, Ekhkron entendit la provocation de Pryd, et chercha instinctivement une porte de sortie, avant de secouer la tête. Non, il devait se concentrer sur la suite des opérations. Les rues commençaient à se clairsemer faute de combattants, mais ils savaient que les guerriers calfeutrés dans leur maison en piteux état attendaient leur heure.
Des alliés de Pryd volèrent jusqu'au sommet, couvert par la domination de Pryd qui venait de retourner un des gardes contre lui. La situation était mal engagée.
Que faisaient ses alliés ? Ils avaient deux missions et pourtant, ils les retrouvaient passifs en bas de la tour ? Il comprit avec regret qu'il se faisait berné.
Incompétents ! Nous vous avions demandé une mission simple, et nous étions prêts à vous récompenser, mais voilà que vous pavanez dans les rues, cherchant un prétexte pour ne pas sauver nos êtres les plus chers, notre progéniture !
Les paroles mentales arrivèrent dans la tête des "alliés", peut-être plutôt des imposteurs, qui ne se souciaient que d'eux-mêmes. D'une voix plus posée, il ajouta.
Nous avons besoin d'eux, mais ils doivent remplir leur devoir.
Puis une flèche vola en direction d'un de ses adversaires, un mélange de mage et de canard, au pied de la tour. Ainsi il comprit que leur seul objectif était Pryd. la colère s'empara de l'Immortel, qui hurla dans la tête de ses anciens alliés d'une voix impérieuse. Malgré la nécessité de nouveaux alliés, il ne pouvait pas se permettre de perdre, surtout face à lui.
Misérables charognes, vous m'avez dupé ! Seul Pryd vous intéresse, au dépend d'un plan infaillible. Vous nous compromettez, je n'aurai jamais dû accorder du crédit à des êtres aussi faibles, mouillant leur braies à la moindre difficulté et frappant dans le dos !
Qu'il en en soit ainsi. Soltra, sauvez les enfants !
Puis Ekhkron, se précipita pour activer les piliers de sa tour, afin de contrer le pouvoir de Pryd. Il aurait préféré attendre pour activer tous les piliers en même temps, mais le revirement de situation avait changé la donne.
Un skilithe descendit en piquée vers l'assassin, qui avait levé son bras au ciel, et battit des ailes au dernier moment pour freiner sa chute et maintenir un vol stationnaire, proche du sol. L'Exarque enfourcha sa monture, et s'apprêtait à se diriger vers la nurserie.
Après avoir ressenti la douleur aigüe par trois fois dans son dos et remarqué qu'elle provenait d'un holdar d'Ekhkron dominé mentalement par Pryd.
Après avoir entendu la voix puissante et énervée de l'exarque leur hurler dessus parce qu'ils ne se mettaient pas en mouvement pour sauver les enfants.
Après avoir passé du temps ensuite à réfléchir aux multiples options.
Elle se rendait compte qu'elle n'était pas plus avancée, qu'elle ne savait pas quoi faire.
Sa colère lui intimait d'attaquer Pryd mais quelque chose dans son intuition lui distillait l'idée qu'il y avait une alternative moins directe mais peut-être plus efficace.. ?
Fallait-il sauver les enfants ?
Elle se tournait vers ses compagnons d'armes mais cela ne lui insufflait pas d'étincelles.
Certains attendaient, impatiemment sans doute, d'autres étaient aux prises avec des créatures hideuses.. Elle vit Tasr se diriger dans la direction de la nurserie... Avait-il raison ?
L'intuition réapparaissait.
Le temps de se décider, elle se tourna vers le pylône et tenta de l'activer - le premier n'ayant pas été une grande réussite - tout en prévenant les autres qu'il y en avait encore un plus au nord
Halko était embêté. Il avait réussi à échapper à la vigilance de Soltra pour rejoindre le couvert d'un parc où il avait pu discuter avec Martin Bêcheur, son vieux compagnon avec qui il avait partagé d'innombrables aventures au sein de la CIA, mais qui s'était rangé du côté des "pro-Pryd" quand le groupe du Concordat s'était scindé en deux. Martin avait bien insisté sur le fait que ses alliés nordiques défendraient Pryd tant qu'Ekhkron serait en vie mais qu'ensuite ils seraient libérés de leurs obligations envers lui et que le groupe des "anti-Pryd" pourrait l'attaquer librement.
Ce plan lui convenait, mais une fois expliqué discrètement à ses compagnons ceux-ci ne furent pas aussi enthousiastes.
"Et si jamais ils n'arrivent pas à tuer Ekhkron et que Pryd s'enfuit ?" "Et du coup on n'essaie pas de sauver les enfants ?" "On va quand même pas rester là sans rien faire en attendant !"
La voix d'Ekhkron qui de nouveau résonna dans leur tête apporta à la confusion. Voyant certains de ses alliés prendre la direction de la nurserie suite à cela, Halko se décida. S'adressant à Soltra qui enfourchait son skilithe non loin il la prévint
"Soltra, nous allons foncer vers votre nurserie. Désolé d'avoir tant trainé en route."