Il y a des moments dans la vie où tout n'est que doute. Vos principes moraux, vos choix, vos motivations et vos actes, tout cela est remis en question. Votre essence même semble inconsistante et si fragile. On ne peut ressortir de ces instants qu'amers et brisés ou bien radicalement transformés. Je traversais alors l'un de ces instants, tout ce qui m'entourait me semblait friable et cassant comme de la glace en plein soleil. J'avais consacrée ma vie à Masielle et ses préceptes avant de prêter serment devant Edar de me battre pour la justice, je croyais dur comme fer à ces idéaux. Pourtant, aussi fort que j'y crois, aussi forte soit ma volonté et pures mes intentions, Ecridel semblait sombrer dans l'anarchie la plus complète. Et peu importait les actions entreprises par mes compagnons ou moi même. Je me sentais impuissante. Je traversais ce que l'on ne pouvait appeler qu'une crise de Foi. Aussi avais-je pris la décision de partir faire retraite en direction du sud afin de méditer et de prier pour que Masielle ou Edar me guide sur la voie à suivre.
Mais aucun signe n'était venu jusque là et malgré moi, je tombais dans l'apathie. Loin des troubles j'avais bien imprudemment baisser ma garde. Et mal m'en a pris.
A genoux dans la glèbe humide des sous-bois, je priais encore lorsque l'attaque survint, vicieuse et brutale, me prenant totalement au dépourvue. Je ne pu qu'encaisser la déferlante de coup portés par la créature bleue en roulant dans la poussière. Avec effort je réussi un court instant à garder la créature à distance, le temps pour moi de m'emparer de mon bouclier pour m'abriter derrière et identifier mon agresseur. Je tressailli subitement, car sans pouvoir mettre le nom sur la créature, sa nature quand à elle, sautait aux yeux. Un démon. J'abaissai la visière de mon casque d'un claquement sec, prête à l'affronter malgré mes blessures. Une imprécation sur mes lèvres se mua en un cri de douleur, l'air crépitait et sentait l'ozone, caractéristique d'une décharge d'énergie magique. Par dessus l'épaule du démon une silhouette s'était matérialisée, baguette au poing. Dieux, c'était un elfe ! Un elfe voyageait avec ce démon ! Les rumeurs étaient fondées, Masielle me vienne en aide !
L'affrontement fut aussi brutal que bref. Je n'avais aucun moyen de tenir tête à ces deux là en même temps. Éreintée, meurtrie, je me préparais à recevoir le coup de grâce quand la voix grinçante de l'elfe retentit, impérieuse.
"Abaisse ton arme humaine ! Abandonne toi à mon étreinte, reconnait moi comme ton amiral et maître et rend hommage au démon ! Fais-le ou meurt sur l'instant !" L'ultimatum était tombé me laissant muette de stupeur. Quelle alternative était-ce là ? Mourir ou contribuer à... à quoi ? A la folie ambiante qui déchirait le monde ? Aider ces fous et ces créatures maléfiques à assoir leur hégémonie sur les royaumes libres ? Renier mes vœux et mes idéaux ? Ils étaient tout ce que j'avais jurer de combattre ! Je me sentais si impuissante que des larmes de rage me brûlaient les yeux. Une idée me traversa alors l'esprit. Si je ne pouvais les affronter de face, peut-être pouvais-je les détruire depuis l'intérieur ? Dieux, était-ce là votre réponse à mes prières ? Une épreuve à surmonter ? Étais-je réellement prête à risquer mon âme dans un pari aussi risqué ? Je déglutis. Si cela était votre volonté... Edar, donne moi la force, Masielle, garde moi de ce mal et Dieux, ayez pitié de moi.
"Très bien... Je... je me rends." Ces mots me brulaient les lèvres. Mon marteau heurta le sol dans un bruit sourd.
Les yeux rougis par l'îvresse procurée par la manne démoniaque, Rajaat manqua presque de retenir un dernier sortilège, très sûrement fatal pour la paladin.
Elle semblait véritablement usée, brisée. C'était comme si sa foi avait heurté le sol au moment même où son arme heurta le sol.
"Excellent ! L'avidité et le désespoir sont les meilleurs failles pour corrompre le coeur des humains" pensa le mage. "Dame Vi'Aria appréciera sûrement un nouveau minion. Et quoi de plus jouissif que de pervertir ce qu'il ya de plus pur pour le camp ennemi".
Rajaat repris à voix haute "très bien humaine, tu te rendras bientôt compte que tu a fais le bon choix en rejoignant le camp des vainqueurs. Rend toi utile à notre cause et nous saurons te récompenser. Deviens l'antipaladin, l'ange de la mort et bientôt tous s'inclineront devant toi. Que la terreur soit ton arme, que la mort te précéde"
Un ange de la mort passa. On entendit le guerrier Xalaro applaudir discrètement la dernière tirade de son amiral. Pas insensible à un mimum de poésie, ce dernier appréciait de plus en plus la mission que lui avait confié dame Vi'Aria et son admiration pour l'elfe noir ne faisait que grandir.
"Ramasse donc tes armes et prend le temps de panser tes blessures" repris Rajaat. "Te voilà à présent à mon service. Tu auras bientôt l'occasion de prouver ta valeur et ta loyauté. En attendant, ta mission est de rester toi même et de ménager tes amis. J'ai quelques idées en tête concernant les sentinelles d'argent pour lesquelles tu me seras bien utile".
Brutus avait de plus en de difficultés à garder une attitude digne d'un démon destructeur. Les paroles enflammées de son amiral le transportait dans des courants de passion débordantes, le galvanisait au plus haut point. Des torrents d'émotions nouvelles le traversaient alors qu'il découvrait peu à peu son nouveau maître au style si singulier.
Mais plus encore que cette admiration, somme toute très classique dans le milieu militaire, le Xalaro se sentait troublé par la présence de l'humaine. C'était la première fois qu'il avait l'occasion d'en contempler une de près en dehors du combat. Tout ceci était nouveau pour la bête de guerre et il n'était pas en mesure lui-même de saisir exactement ce qui était à l'oeuvre en lui. Néanmoins une chose était sûre, l'émotion de désespoir et de résignation que dégageait la paladin ne le laissait pas de glace.
Une dizaine de jours plus tard.
*Une note fut portée à Valeriane*
Valeriane,
Ça être Brutus.
Amiral Rajaat et dame Vi'Aria avoir pris décision.
Valeriane pouvoir devenir démon si trahir sentinelles de cuivre.
Mission de Valeriane, donner position de Leonide et aider à lui tendre un piège.
Valeriane dire si accepter mission ou sinon ennemie !
Brutus
Cet elfe était fou, complètement et irrévocablement fou. Mais un fou dangereux malgré tout. Dangereux et imprévisible, pétrit de morgue et d'arrogance. Je me baissai à son ordre pour me saisir de mes armes tombées à terre, sans toutefois le quitter un instant des yeux, méfiante que j'étais. D'autant plus que son chien de garde démoniaque semblait me dévorer des yeux d'une manière qui me mettait particulièrement mal à l'aise. Impossible de savoir à quoi pouvait-il bien penser tant l'expression de ce faciès inhumain m'était étrangère et indéchiffrable. Ce qui était sûr c'est que je ne voulais sous aucun prétexte me retrouver seule avec cette chose, quelque chose en moi se révulsait rien qu'à sentir son regard peser sur moi.
Rajaat se mit à débiter un laïus sur les prétendus pouvoirs que mon « allégeance » nouvelle me confèrerait. Douce Maisielle, fait que ce ne soit là que le délire malade né d'un esprit brisé et tourmenté. S'attendait-il réellement à ce que je me mette à massacrer hommes, femmes et enfants à travers les Royaumes ? Et au nom de la chienne qui l'asservissait qui plus est ? Je plongeais un instant mon regard dans ses yeux sans rien y découvrir d'autre que l'éclat d'une folie sans borne. Etait-elle là naguère ou avait-elle été instillée en lui par cette fameuse Vi'aria ? Pourrais-je le manipuler afin qu'il me conduise à sa maîtresse et lui faire croire que j'obéirai à ses ordres ? Rien n'était moins sûr. Quant à cette engeance qui sait quels pouvoirs était-elle capable de déchainer. Je n'avais pas la moindre chance de parvenir seule à mes fins, ceci dit, si je pouvais faire illusion le temps d'informer mes compagnons de route sur la démone, alors peut-être qu'eux auraient la possibilité de la vaincre une fois pour toute ? Peut-être encore pourrais-je influencer les actions de ce prétendu amiral pour le faire faillir dans sa tâche quel qu'elle puisse être. Instiller les graines de la discorde dans les rangs de ces créatures ? Cela valait peut-être bien le coup d'y risquer ma vie, car quoi qu'ils préparassent cela n'annonçait rien de bon pour les peuples d'Ecridel. Dans leur intégralité. J'ignorais si j'aurai la force d'endurer ce que mon choix impliquait. Car d'une certaine façon Rajaat avait raison. J'allais trahir tous mes vœux, devenir aux yeux de tous un être vil et abject, une tâche noire et indélébile sur mon honneur et mon nom serait à jamais marqué du sceau de l'infamie. Mais je me devais de l'endurer si cela nous donnait une chance de survivre à ce qui se préparait. Et s'il me fallait un peu me salir les mains, j'en sauverai davantage encore. Je pris conscience du poids de mon marteau dans ma main, je pouvais éviter tout cela, lui faire éclater le crâne d'un coup tant qu'il avait baisser sa garde. Il périrait alors, le xalaro me tuerait ensuite à son tour et je n'aurais éliminer qu'un pion de l'échiquier pour sauvegarder ma pureté. Mes doigts se resserrèrent convulsivement autour de mon arme. Je ne pouvais pas faire ça. Je devais me sacrifier. Faire un pacte avec le diable.
Mais alors que je me préparais mentalement à subir sa corruption -si tant est que l'on puisse s'y préparer- je me fis simplement congédier d'un geste négligent. Comme une simple nuisance indigne que l'on y prenne garde. N'allait-il donc m'imposer aucune contrainte ou marque pour m'obliger à tenir un quelconque engagement ? Me sous-estimait-il à ce point ou avait-il à ce point confiance en ses capacités ? Peut-être même avais-je été découverte et connaissait-il mes intentions. Peut-être s'en amusait-il même. Mon regard passa du démon à l'elfe. Seigneurs, ils me laissaient vraiment partir. Plus encore que le reste cette désinvolture me glaça les sangs. J'acquiesçai malgré moi avant de partir, aussi vite que ma dignité blessée me le permettait.