Selinde Belroza
Positionnée sur un talus élevé, la forteresse du Skovendor dans son dos, une cavalière scrutait le champ de bataille avec attention. Elle tenait dans sa main un imposant étendard aux couleurs du Concordat ; un phénix d'or dont les ailes de flammes accueillaient les emblèmes de ses différentes factions, sur un fond écarlate.
Son pâle visage était marqué par la fermeté propre aux figures d'autorité, mais aussi par la cruauté de la guerre qui incendiait ses iris noisettes d'une jubilation malsaine. Son destrier cornu renâcla bruyamment, impatient de charger sur les blessés en déroute, de sentir à nouveau le sang couler sur sa robe d'ébène. Elle le retint, continuant d'observer les troupes adverses s'éloigner, quittant les combats pour rejoindre l'intérieur des terres nordiques.
Elle passa sa langue sur ses lèvres, se délectant de savoir à présent la forteresse sans protecteur. Plus rien n'empêcherait à présent le Concordat de s'en emparer et de libérer les captifs asservis.
Le vent se leva des mains des mages elfiques pour donner vie à sa longue chevelure laiteuse et porter sa voix au loin. Mais Selinde ne s'exprima pas. Elle se contenta de planter l'oriflamme au sol.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Dans une cadence régulière que tout le Concordat imita dans un rythme parfait, armes et bâtons frappant le sol en mesure. La clameur s'amplifia peu à peu et se déploya dans toute la vallée, accentuée par l'assourdissant silence de la neige.
Gorbad
Le Skövendör, promis au renouveau après le sombre règne du Jarl Broder Aaren, chutait à nouveau. C'était son peuple qui saignait encore une fois et ses rêves de grandeur qui s'envolaient en fumée, consumés par les cendres de la guerre. Ses routes devenaient un bourbier dans lequel les rescapés essayaient de s'extirper, partant vers le couvert des arbres des forêts septentrionales pour les uns ou s'enfonçant dans les mines abandonnées aux tribus de gobelins pour les autres, les plus désespérés. Les sons longs des cors de guerre tentaient de rallier quelques guerriers vaillants afin de ralentir l'armée ennemie mais ils peinaient à surmonter le bruit des armes et des bâtons qui frappaient le sol en mesure dans les rangs ennemis.
Chacun savait pertinemment que le jour de défendre l'honneur de ce fer de lance du Markensheim viendrait tôt ou tard mais nul n'aurait pu prophétiser que le désastre viendrait si vite. On s'était préparé pourtant. Du minerai venu de Karad avait été fondu en masse dans les forges du Jarldom afin d'armer les combattants. Des missions de reconnaissance avaient été menées jusqu'au Rigulsheim pour estimer la menace et, pourquoi pas, la devancer. Les regards étaient tournés du mauvais côté cependant. Ce n'était pas des mots funestes prononcés par la reine des elfes des glaces que la sentence était venue. Non, la tempête était arrivée du sud.
Une sourde colère bouillait au sein du jeune conseiller Plonge-Mestal. Il était arrivé trop tard, comme bien d'autres. L'ennemi avait frappé au moment parfait où les liens noués par le passé étaient dans l'incapacité de s'exprimer. On ne commande pas à la tempête. Elle s'abat sur vous quand elle l'a décidé.
Toute cette énergie passée dans la reconstruction avait été vaine. Le Skövendör avait le potentiel d'être le purgatoire de la maison Plonge-Mestal mais pour le coup, Grungar leur jouait un bien vilain tour. Retour à la case départ. Dans les lueurs des flammes libérées par les sorciers flamboyants, le nain entendait les ombres ricaner.
En spectateur de cette débâcle, le jeune nain serrait avec force le manche de la hache tenue par sa seule main valide. Il avait envie de courir vers l'ennemi, de parcourir ses rangs, non pour l'annihiler, quoique..., mais pour atteindre la forteresse et s'assurer que l'infâme qui y était enfermé n'était pas en train d'arborer un sourire. Le guerrier ne pouvait qu'invoquer le mauvais sort à travers son nom.
Trül...
Il finit par écraser une larme glacée du revers de sa cape et fit demi-tour.
Un chapitre s'achevait sur une fin inattendue, une nouvelle page se tournait.